Débat sur la fiscalité écologique

24
Jan
2013

La fiscalité écologique n'est pas une ressource marginale destinée à compléter les grands impôts. Ce n'est d'ailleurs pas fondamentalement une ressource budgétaire, mais un instrument qui est au cœur même du changement nécessaire de notre modèle de développement. Depuis la révolution industrielle, notre économie s'est développée comme si nous vivions dans un univers illimité. D'un côté, on épuise des ressources naturelles ; de l'autre, on produit des déchets alors que les écosystèmes naturels fonctionnent selon un cycle fermé qui intègre naturellement le développement durable.

Si nous voulons que les comportements des acteurs économiques respectent le développement durable, il faut que le prix des biens échangés sur les marchés intègre le coût pour l'humanité de la dégradation de l'environnement due à leur production. Et la façon la plus simple de donner un prix à l'environnement, c'est la fiscalité écologique.

Dans mon intervention à l'Assemblée nationale lors du débat initié par le groupe Ecologie le 24 janvier, j'ai développé la nécessité d'augmenter fortement notre fiscalité écologique pour la mettre à la hauteur de celle des pays les plus avançés et de mettre en place une contribution Climat énergie progressive, seule à même de répondre au défi du respect de nos engagements de réduction des gaz à effet de serre. Vous trouverez mon intervention dans la suite de cette note.

Intervention à l'Assemblée Nationale le 24 janvier dans le débat sur la fiscalité écologique

M. Pierre-Alain Muet. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission du développement durable, mes chers collègues, je remercie d'abord le groupe écologiste d'avoir lancé ce débat sur la fiscalité écologique.

La fiscalité écologique n'est pas une ressource marginale destinée à compléter les grands impôts. Ce n'est d'ailleurs pas fondamentalement une ressource budgétaire, mais un instrument qui est au cœur même du changement de notre modèle de développement. Depuis la révolution industrielle, notre économie s'est développée comme si nous vivions dans un univers illimité. D'un côté, on épuise des ressources naturelles ; de l'autre, on produit des déchets. Les écosystèmes naturels fonctionnent totalement différemment : les déchets produits par une partie de l'écosystème sont des ressources pour une autre partie. De la sorte, l'écosystème fonctionne selon un cycle fermé qui intègre naturellement le développement durable.

Si le développement économique spontané ignore à ce point ses conséquences sur l'environnement, c'est en partie parce que ce qui guide le choix des acteurs économiques, le prix, ignore – ou en tout cas a longtemps ignoré – le coût de l'activité économique pour l'environnement. Une condition nécessaire – mais pas suffisante – pour que notre modèle de croissance devienne durable, c'est que le prix des biens échangés sur les marchés intègre le coût pour l'humanité de la dégradation de l'environnement due à leur production. De cette façon, les décisions des entreprises et des consommateurs seront orientées dans le sens d'un développement durable.

La façon la plus simple de donner un prix à l'environnement, c'est la fiscalité écologique. Ce n'est pas la seule : les mécanismes de quotas d'émission le font aussi, mais pas de manière aussi générale. La taxation écologique a un avantage : son application est très générale. En effet, quand la pollution est diffuse et les possibilités de réduction mal connues, la taxe écologique est le seul instrument efficace.

La fiscalité écologique est aussi l'instrument le plus efficace lorsque la dégradation de l'environnement résulte du stock d'émission et non du flux, ce qui est précisément le cas des émissions de C02 et du réchauffement climatique.

La fiscalité écologique est très différente de la fiscalité traditionnelle. Le rôle traditionnel de l'impôt est de fournir des ressources sans perturber le système économique, donc sans changer le système de prix. C'est l'inverse pour la fiscalité écologique puisqu'elle tend, au contraire, à modifier le système de prix pour changer les comportements sans perturber le reste de l'activité économique. C'est la raison pour laquelle, pour qu'elle soit efficace, il faut en compenser les effets soit sur les entreprises, soit sur les ménages.

Le crédit d'impôt compétitivité emploi est, de ce point de vue, un bon exemple, même s'il ne correspond pas complètement à la réflexion traditionnelle selon laquelle il faut développer la fiscalité écologique en contrepartie d'un allégement du coût du travail. Ce crédit d'impôt compétitivité emploi, avec un financement reposant, en partie, sur la fiscalité écologique, a cette cohérence. Si nous analysons plus en profondeur ce crédit d'impôt, notamment le financement, par  10 milliards d'euros de fiscalité, nous réaliserons vite que, pour le rendre le plus efficace possible, la fiscalité écologique devra prendre le pas sur la TVA. Ainsi, le taux de TVA le plus faible – celui de 5 % – sera appliqué à davantage de produits, comme nombre d'entre vous sur les bancs de cette assemblée l'ont souhaité. Cela permettra également de développer de façon cohérente la fiscalité écologique puisqu'en contrepartie de chaque euro supplémentaire de fiscalité écologique, il y aura une baisse de la TVA, donc une compensation principalement pour les ménages, mais aussi pour les entreprises. J'ai, en conséquence, demandé au Gouvernement, lors de notre débat budgétaire, de permettre à notre assemblée de réfléchir au partage entre fiscalité écologique et TVA dans le respect du montant global de 10 milliards de financement de ce crédit d'impôt  par la fiscalité. C'est une forme de triple dividende : la compétitivité, l'emploi et la transition écologique.

Cela ne signifie pas, et je rassure Mme la ministre, que la nécessaire montée en charge de la fiscalité écologique doive se limiter à ce seul aspect d'une composante du financement du crédit d'impôt. En effet, et tout le monde l'a rappelé ici, notre pays est très en retard dans la mise en œuvre des écotaxes. Nous avons environ un demi-point de PIB de moins que la moyenne européenne et un point de PIB de moins si l'on se compare aux pays les plus avancés en Europe. Cela ne se chiffre donc pas en quelques milliards, mais en dizaines de milliards.

Notre pays se caractérise surtout par une taxation écologique peu efficace. Nous disposons, avec la TGAP, d'un certain nombre de taxes écologiques, mais reconnaissons qu'elles sont très éloignées du coût de la dégradation de l'environnement. Si l'on veut mettre en place une véritable fiscalité écologique, la taxe doit être proche du coût marginal des dommages ou du coût de la dépollution.

Je prendrai l'exemple des oxydes d'azote. Ainsi, le coût marginal des dommages à l'environnement des oxydes d'azote est, en moyenne, évalué à 10 000 euros par tonne et les coûts de dépollution varient de 200 à 9 000 euros par tonne. Or, dans ce domaine, notre TGAP était seulement de 53 euros par tonne, en moyenne, en 2010. Même si elle atteint 160 euros en 2012, elle reste très éloignée de la taxe des pays qui l'ont portée à son niveau d'efficacité, donc au niveau du coût de la dégradation de l'environnement – elle s'élève à 5 400 euros en Suède, par exemple. Il y a donc matière à avancer dans la fiscalité écologique sans même mettre en place de nouvelles taxes, mais en faisant simplement monter en charge les taxes existantes pour qu'elles soient à la hauteur des enjeux.

Quant à la lutte contre le réchauffement climatique, cela fait deux fois que notre pays échoue à mettre en place une contribution climat énergie pourtant indispensable. On sait que, pour répondre au défi du réchauffement climatique, il faudra tout combiner : la sobriété énergétique, les énergies renouvelables, le changement dans nos modes de transports et dans notre conception de l'urbanisation. Mais sans modifier progressivement et durablement sur une longue période le prix de l'énergie fossile, ni la technologie ni la volonté politique ni la conscience citoyenne ne suffiront à inverser le cours des choses. Tous ceux qui se sont penchés sur la question l'ont dit : si l'on ne modifie pas durablement le prix des énergies fossiles, nous aurons beaucoup de mal à respecter les engagements pris, ce qui est le cas de la plupart des pays. La seule façon d'orienter durablement l'ensemble des acteurs économiques vers la réduction continue de la consommation d'énergie fossile est d'inverser le cours de l'histoire industrielle en augmentant de façon régulière et progressive le prix du carbone et de l'énergie, comme l'a fait, là encore, depuis très longtemps la Suède

Dans ce domaine les travaux réalisés par la commission Rocard restent totalement d'actualité : une contribution climat énergie commençant à 32 euros la tonne et augmentant régulièrement pour atteindre 100 euros la tonne en 2030 est la bonne solution. Et plutôt que d'exempter les grandes entreprises soumises aux quotas comme le fit le gouvernement Fillon, mesure censurée par le Conseil constitutionnel, car créatrice d'une inégalité devant l'impôt, prévoir des quotas payants et une taxe différentielle tenant compte du coût moyen très faible du marché des quotas, comme je l'ai proposé avec Aurélie Filippetti en 2009, répond à la fois à l'égalité devant l'impôt et à l'efficacité écologique. Contrairement à la vision court-termiste qui a toujours prédominé sur cette question, une telle taxe est un facteur de compétitivité à long terme, car on sait parfaitement que la compétitivité future de notre industrie dépendra de ses progrès en matière de développement durable.

M. Denis Baupin. Excellent !

M. Pierre-Alain Muet. Une hausse programmée, annoncée et régulièrement suivie est la seule façon d'échapper à ce qui risque de se produire dans quelques années, et qui est déjà arrivé, à savoir une hausse brutale des prix de l'énergie. Il est préférable d'anticiper et de procéder aux changements, c'est la meilleure façon de se mettre à l'abri de ces hausses brutales. D'ailleurs l'histoire économique est éclairante à ce sujet : tous les pays qui ont fondé leur développement à court terme sur le bas coût des matières premières se sont désindustrialisés. On parlait, dans les années soixante, du Dutch disease et, si l'on remonte un peu plus loin dans l'histoire, le phénomène s'est produit pour l'Espagne. Cela a, à l'époque, favorisé le développement industriel de la Hollande.

Avec le redressement de nos finances publiques et la priorité donnée à la jeunesse à travers l'école et l'emploi, la transition écologique de notre économie sera la marque la plus sûre de notre action en faveur des générations futures.

Madame la ministre vous pouvez être assurée que nous vous soutiendrons dans cette ambition. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, RRDP et Écologiste).