La RGPP, une politique de modernisation de l'Etat dévoyée au mépris des fonctionnaires et aux dépens de la qualité des services publics.

06
Nov
2009

Intervenant ce vendredi 6 novembre à l'Assemblée nationale pour présenter mon rapport sur « La stratégie des finances publiques et la modernisation de l'Etat » j'ai dénoncé une politique de modernisation de l'Etat (la RGPP) dévoyée par la prédominance de l'objectif de non-remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite, en lieu et place d’une véritable évaluation des politiques publiques. L’exercice se limite alors à effectuer des coupes claires, là où aurait dû prévaloir une vraie réflexion sur la réorganisation des missions de l'Etat. Ces coupes sont réalisées sans vision cohérente d’ensemble et sans que soit prise en compte la dimension de la qualité du service rendu.

Toutes les organisations syndicales rencontrées dans le cadre de ce rapport spécial ont affirmé que la concertation sur la RGPP n'avait jamais vraiment eu lieu. Toutes ont estimé qu'il aurait fallu commencer par organiser un débat sur les missions et ensuite statuer sur les effectifs et les moyens.

Vous trouverez mon intervention dans la suite de cette note.

Intervention de Pierre-Alain Muet à l'Assemblée nationale

Projet de loi de finances pour 2010 (2ème partie)

Gestion des finances publiques et des ressources humaines

Révision générale des politiques publiques (RGPP)

Séance du vendredi 6 novembre 2009

M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Muet, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, pour la stratégie des finances publiques et la modernisation de l’État et pour la conduite et le pilotage des politiques économique et financière.

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, pour la stratégie des finances publiques et la modernisation de l’État et pour la conduite et le pilotage des politiques économique et financière. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je concentrerai mon propos sur la RGPP.

L’évaluation des politiques publiques et la concertation avec les représentants des agents de l’État sont – je suppose que nous en sommes tous convaincus – les clefs de voûte d’une véritable politique de modernisation de l’État. Or l’évaluation reste un point faible de la politique de modernisation et la concertation connaît un véritable déficit.

En lieu et place d’une véritable évaluation des politiques publiques, la RGPP s’est caractérisée par la prédominance d’un objectif unique, choquant, et inefficace. Je dis inefficace car le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite correspond à la suppression de 33000 postes dans la fonction publique, c’est-à-dire à 500 millions d’euros d’économie à comparer au déficit de l’État qui atteint 141 milliards d’euros.

M. Jacques Alain Bénisti. Il n’y a pas de petites économies!

M. Pierre-Alain Muet, rapporteur spécial . Non seulement cet objectif est inefficace, mais il nuit à l’efficacité qui aurait pu être celle de la RGPP. L’exercice s’est en effet limité à effectuer des coupes claires là où aurait dû prévaloir une vraie réflexion sur la réorganisation des missions de l’État. Ces coupes ont souvent été réalisées sans vision cohérente d’ensemble et sans que soit prise en compte la dimension de la qualité du service rendu.

S’agissant de la concertation, le déficit est encore plus criant. J’ai consulté les huit organisations syndicales représentées au sein du Conseil supérieur de la fonction publique de l’État: plusieurs m’ont affirmé qu’elles partageaient le souci de modernisation du service public et qu’elles étaient prêtes à accompagner une réforme de la fonction publique, mais pas sous la forme qu’elle a prise dans le cadre de la RGPP. Toutes ont estimé qu’il aurait fallu commencer par organiser un débat sur les missions et ensuite statuer sur les effectifs et les moyens. Toutes ont regretté l’absence d’une véritable concertation.

Nous avons besoin d’un débat public sur le rôle de l’État, sur ses missions et sur le service public, avec une déclinaison par ministère. Au cours de toutes les auditions que j’ai réalisées, les représentants des fonctionnaires ont insisté sur la nécessité de donner un sens à leur travail et d’expliquer la raison des réformes.

Plusieurs organisations syndicales ont souligné « le rythme rapide, voire précipité, avec lequel les réorganisations sont en train d’être effectuées, ainsi que le caractère brutal de leur mise en œuvre ». Les risques de désorganisation ont été mentionnés, avec une baisse de la qualité et une rupture dans la continuité du service. Les réformes donnent souvent l’impression que les suppressions massives d’emplois sont d’abord effectuées, avant qu’il soit tenté d’adapter le fonctionnement des services, « de façon bâclée », avec « une gestion à la petite semaine ».

Plus que dans les services centraux des ministères, c’est dans l’administration territoriale de l’État que se situent les tensions les plus fortes. Les services déconcentrés rassemblent en effet la plus grande partie des fonctionnaires de l’État. La plupart des directions régionales ou départementales sont touchées par les changements de nom, les éclatements ou les fusions. Une organisation syndicale a déclaré que l’on assistait à « une véritable destruction de services entiers comme l’inspection du travail ou la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ».

Selon les décisions prises dans le cadre de la RGPP, la réforme de l’administration territoriale de l’État doit s’appliquer au 1 er  janvier2010. Or de nombreux problèmes ne sont pas résolus, en particulier le fait que dans les fusions des nouvelles structures déconcentrées de l’État, les fonctionnaires resteront rattachés statutairement à leurs ministères mais dépendront hiérarchiquement des préfets.

Les chartes de gestion qui doivent régir ces situations complexes n’étaient pas encore écrites au début du mois d’octobre 2009. Une organisation syndicale estime qu’il est important que les fonctionnaires gardent un lien fort avec leur ministère et ne se fondent pas dans une interministérialité placée, de fait, sous l’autorité du ministre de l’intérieur.

C’est ainsi que, dans les services locaux de la protection judiciaire de la jeunesse, la vocation éducative et les prises en charge civiles ont été délaissées et transférées de fait aux conseils généraux. Cette modification profonde du mode d’action de l’État n’a jamais donné lieu à débat et n’a jamais été expliquée aux quelque 800 agents publics potentiellement concernés et qui sont en charge de la mettre en œuvre.

Des remarques analogues ont été faites dans le domaine de l’éducation. Mais puisque je parle de la protection judiciaire, un article paru dans Le Monde daté d’hier expliquait tout ce que, finalement, je décris dans mon rapport, c’est-à-dire le ressenti catastrophique de la RGPP. Une directrice départementale de la protection judiciaire de la jeunesse, après une tentative de suicide, s’exprimait en ces termes: « La RGPP m’a tuée ». (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) La façon dont la RGPP a été conduite, sa mauvaise explication ont abouti à une véritable désorganisation des services de l’administration.

Toutes les organisations syndicales que j’ai rencontrées ont affirmé que la concertation sur la RGPP n’avait pratiquement jamais vraiment eu lieu. Il y a eu, bien sûr, des commissions de modernisation au niveau national, avec des représentants de l’administration et des personnels, mais c’est à peu près tout: deux réunions se sont tenues en mars et juin 2008. Les commissions départementales de modernisation des services publics n’ont pas toujours été réunies par les préfets. Elles l’ont même rarement été, me disent les syndicats.

Les fonctionnaires ont en général appris par la presse les décisions prises dans le cadre de la RGPP, et par voie de circulaire les modalités de mise en œuvre des réformes. L’information manque, et même les hauts fonctionnaires sont demandeurs d’explication. Très souvent, l’encadrement n’a pas été plus consulté que les services qu’il a sous ses ordres. Les cadres de la fonction publique sont souvent mal à l’aise et ne comprennent pas toujours ce qu’ils doivent mettre en œuvre. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que la majorité des fonctionnaires se déclarent hostiles à la RGPP, comme le montrent plusieurs enquêtes et sondages commandés par votre ministère.

Un représentant syndical cite de nombreux cas où des fonctionnaires sont informés de la fermeture de leur direction régionale ou départementale par la lecture d’un arrêté au Journal officiel .

Plusieurs organisations syndicales indiquent que les cas se multiplient où les fonctionnaires qui perdent leur poste dans une restructuration doivent procéder eux-mêmes à la recherche d’un nouveau poste. Certains ont été contactés par leur directeur, de façon informelle et avant toute décision de restructuration, pour leur conseiller de rechercher par eux-mêmes une affectation ailleurs. Ces agents n’ont alors pas accès à l’information sur la nature précise des réformes prévues et ne peuvent pas faire valoir leurs droits.

Plusieurs organisations syndicales ont estimé que l’on assistait de fait à la multiplication de cas de « mobilité non souhaitée ou contrainte ».

Mon dernier point concerne les primes au mérite, qui heurtent le sens du service public de nombreux fonctionnaires. Le ministère du budget, comme d’autres ministères d’ailleurs, applique ces primes depuis longtemps. Certaines organisations syndicales consultées se sont déclarées favorables seulement aux dispositifs d’intéressement collectif, dans la mesure où ils concourent à une meilleure qualité du service et participent au pouvoir d’achat des fonctionnaires. D’autres, au contraire, ont rappelé qu’elles n’étaient pas demandeuses et ont souligné « les risques de systèmes de prime au mérite qui iraient à l’encontre de la vocation initiale des jeunes fonctionnaires quand ils ont fait le choix de la fonction publique ».

Un autre a encore déclaré : « Un sacrifice en termes de niveau de rémunération, par rapport au secteur privé, est compensé par le sentiment profond d’être au service de l’État pour remplir des missions d’intérêt général ». Ce propos traduit ce que ressentent la plupart des fonctionnaires et je pense que le Gouvernement en porte une lourde responsabilité. Comme le dit l’un d’eux, « les fonctionnaires lisent et entendent qu’ils sont le back office , qu’ils ne servent à rien, qu’ils sont trop souvent absents et qu’ils ne sont pas mobiles », alors même que « la motivation profonde des fonctionnaires repose d’abord sur le sens qu’ils donnent à leur mission ». Dans ce domaine, je crains que la politique de la RGPP n’ait été clairement un échec.

Nous avons, monsieur le ministre, une fonction publique que vous connaissez bien et qui est particulièrement performante. De nombreux pays étrangers nous l’envient. La RGPP aurait pu être une politique intelligente. Nous convenons tous de la nécessité de moderniser notre État. Mais en agissant avec un seul objectif, à savoir la réduction du nombre de fonctionnaires et le non-remplacement d’un départ en retraite sur deux, mesure que Bercy propose à tous les ministres successifs depuis des décennies, vous avez dévoyé une politique qui aurait pu être efficace. Au bout du compte, vous avez en grande partie désorganisé la fonction publique, et souvent démoralisé ses fonctionnaires.