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Augmenter le SMIC et la Prime pour l'emploi

28
Avr
2008

Interview dans Libération, lundi 28 avril 2008

Inflation, chômage, pouvoir d'achat... Le décalage entre la perception de la réalité économique par les salariés consommateurs et son évaluation statistique par l'Insee semble n'avoir jamais été aussi grand. Président de la mission parlementaire sur la mesure des grandes données économiques et sociales, l'économiste et député socialiste, Pierre-Alain MUET, livre son diagnostic.

Propos recueillis par GRÉGOIRE BISEAU et GUILLAUME DUVAL

Voir le débat sur http://www.libelabo.fr/

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Faut-il faire encore confiance à l'Insee pour mesurer l'inflation alors que les consommateurs ont été longtemps persuadés que les prix augmentaient plus vite ?

Notre conclusion est que l'indice des prix est une mesure fixée à l'échelle internationale, indispensable pour avoir une idée de la perte de pouvoir d'achat d'une monnaie, mais elle n'est pas suffisante. Nous disons : oui, cette mesure est correcte, mais il faut la compléter. On sait bien que, depuis le passage à l'euro, nos concitoyens ont le sentiment que l'inflation en France est près de deux fois plus forte que sa mesure statistique. Il se trouve que la réalité d'aujourd'hui est en train de rejoindre leur perception. Ce phénomène s'est d'ailleurs retrouvé dans tous les pays européens.

Pourquoi ?

Les explications sont nombreuses. L'une d'entre elles est que les prix qui permettent de repérer l'évolution de l'inflation concernent des biens que les consommateurs achètent couramment. En revanche, on n'achète pas tous les jours des biens d'équipement dont les prix, eux, baissent. Il y a aussi un vrai problème de mesure de la hausse des prix. Par exemple, si vous achetez un ordinateur aujourd'hui et que l'an prochain vous êtes amené à en acheter un autre, vous le paierez pratiquement le même prix mais il sera beaucoup plus sophistiqué. Vous vous direz : «J'ai fait une dépense comparable à celle de l'année précédente.» Mais l'Insee vous dira : «Mais non, il y a une amélioration considérable de la qualité du produit, donc cela signifie que les prix ont baissé.»

Il est un peu fort que l'Insee nous dise qu'un ordinateur d'aujourd'hui vaut dix fois moins qu'un ordinateur d'il y a dix ans...

Il faut que l'Insee ajoute notamment des indices qui ne prennent pas en compte cet «effet qualité» pour se rapprocher de la façon dont nos concitoyens perçoivent effectivement la hausse des prix. C'est vrai pour les ordinateurs. C'est vrai d'une certaine façon pour les rasoirs. Ce matin, je me suis rasé avec un rasoir à trois lames. Avant, c'était une lame. Il est beaucoup plus cher que le rasoir à une lame qui a quasiment disparu. Dans les faits, la fonction «rasage» a donc bien augmenté de prix. Mais pas pour l'Insee.

En matière de pouvoir d'achat, on retrouve aussi le même décalage entre perception des salariés et la mesure statistique de l'Insee (+ 3,1 % en 2007)...

Les moyennes cachent des résultats extrêmement différents. Quand la croissance du pouvoir d'achat était forte de 1997 à 2002 (entre 3 et 3,5 %), aucune catégorie sociale ne constatait de baisse. A partir du moment où la croissance du pouvoir d'achat est faible, cela a été le cas à partir de 2002 où, notamment pendant deux années, elle n'a pas du tout augmenté (2003 et 2005), la moitié des catégories sociales connaît des baisses très fortes. Par exemple en 2003, le pouvoir d'achat des cadres de la fonction publique chute de 2 %. Là, évidemment, nos concitoyens perçoivent une dégradation de leur situation économique, qui est bien réelle.

Vous êtes en faveur d'une hausse du Smic, alors qu'il a déjà connu une forte revalorisation ces dernières années...

Dans le passé, dans toute la période de convergence due à la réduction du temps de travail, le Smic horaire a augmenté assez fortement. Ce n'est pas vrai depuis un an et demi. Le reproche que je fais au gouvernement est de ne pas avoir augmenté le Smic en juillet au moment où il dépensait 15 milliards d'euros de cadeaux fiscaux en grande partie aux plus fortunés de nos concitoyens. Il aurait pu prendre deux mesures : l'augmentation du Smic, en tout cas lui donner un coup de pouce, et augmenter la prime pour l'emploi, que touchent 9 millions de nos concitoyens les plus modestes. D'une certaine façon, il y a eu un sentiment d'une profonde injustice, au moment où l'accélération de l'inflation pèse très fortement sur les salaires.

Christian Noyer, le président de la Banque de France, craint que si l'on s'engage dans un rattrapage salarial on enclenche une spirale inflationniste. Y croyez-vous ?

Je pense que le risque est faible, d'abord parce que les banques centrales sont très attachées à la faible inflation. C'est un choc ponctuel que l'on connaît. On a à la fois une forte hausse du prix des produits alimentaires à l'échelle internationale avec la crise que l'on connaît et on a une forte hausse des prix de l'énergie. Il ne s'agit pas systématiquement de faire repartir à la hausse tous les revenus. Il s'agit simplement de faire en sorte qu'il n'y ait pas de perte de pouvoir d'achat pour les salariés les plus modestes.