La réforme fiscale oubliée (Alternatives Economiques)

27
Jui
2017

Retrouvez ci-dessous mon article paru dans Alternatives Economiques du 25 juin: :

 

La réforme fiscale oubliée... pour longtemps
Pierre-Alain Muet, économiste, ancien député

A un moment où le mot « réforme structurelle » est devenu l’alpha et l’oméga du discours politique, il est une vraie réforme structurelle, oubliée en chemin qui était pourtant au coeur de la campagne de François Hollande : celle de l’imposition des revenus.  Après un effort de cohérence la première année, malheureusement occulté par une accumulation de prélèvements, les 4 années suivantes reproduisirent les bricolages qui avaient caractérisé les précédents quinquennats : suppression de la première tranche entrainant une entrée brutale dans l’IR et rétrécissant encore plus l’impôt progressif, créations de nouvelles niches fiscales et réforme structurelle - le prélèvement à la source - renvoyée une fois de plus à la mandature suivante. Quant au programme fiscal du nouveau président de la république Emmanuel Macron, il s’inscrit malheureusement dans la droite ligne des bricolages de son prédécesseur, ce qui n’est guère étonnant quand on se souvient qu’il en fut en partie l’inspirateur.

 

Une imposition des revenus archaïque

Notre imposition des revenus avait pourtant bien besoin de la réforme d’ensemble qu’avait promis François Hollande. Car depuis la dernière réforme importante, la réunification de l’impôt sur le revenu en 1959, aucune réforme globale n’a pris la dimension du changement radical qui s’est produit en France comme dans tous les pays développés depuis la seconde guerre mondiale. Figé dans la conception familiale de l’immédiat après-guerre, mité par la multiplication de niches fiscales, réduit et complexifié par l’accumulation de réformettes, l’impôt sur le revenu est resté aveugle dans notre pays aux profonds changements concernant la famille ou l’activité. Pire, avec la création puis la montée en charge de la CSG, et la réduction quasi-continue de l’impôt progressif sur le revenu jusqu’à ces dernières années, notre imposition des revenus est devenue atypique dans le paysage européen. Nous avons aujourd’hui deux impôts sur le revenu : l’IR (3,5 % du PIB) et la CSG (4,5 %). La somme des deux (8 %) est proche du montant de l’impôt sur le revenu dans les autres pays (9 % au Royaume-Uni, 9,5 % en Allemagne, 10 % aux Etats-Unis), mais avec trois particularités.

Tout d’abord nous sommes le seul pays de l’Union européenne à prélever l’IR sur les revenus de l’année précédente, au lieu de le prélever à la source sur le revenu courant. Il n’est de ce fait ni adapté aux accidents de la vie professionnelle (chômage ou baisse de revenu), ni à ceux de la vie familiale (séparation).

Ensuite, le plus gros de nos deux impôts sur le revenu – la CSG – n’est pas progressif, de sorte que pour nos concitoyens les plus modestes l’imposition du revenu commence dès le premier euro à un taux moyen très élevé : celui de la CSG (8%). Dans aucun autre pays démocratique l’imposition du revenu commence à un taux aussi élevé. Non seulement tous les Français payent un impôt sur le revenu, contrairement à ce que l’on entend parfois, mais pour 9 Français sur 10, la CSG payée est plus importante que l’IR.

Enfin, contrairement à un impôt moderne prélevé à la source intégrant un revenu minimum dans son barème - ce qui rend automatiquement ce revenu universel -, le RSA ou son complément la Prime d’activité ne sont ni versés automatiquement (il faut en faire la demande d’où un non recours important), ni cohérents avec l’imposition des revenus. En retenant le critère familial du RSA (le conjoint ne compte que pour ½ part) plutôt que le critère fiscal de la Prime pour l’emploi (le conjoint compte pour 1 part), la Prime d’activité aboutit à cette absurdité que 2 salariés célibataires au SMIC qui touchaient la Prime d’activité la perdent s’ils se marient !

En lançant le pacte dit de Responsabilité
François Hollande étouffa dans l’oeuf
le projet qu’il avait porté dans la campagne

Si la fusion de deux impôts aussi différents dans un impôt unique prélevé à la source, progressif et individualisé n’était pas réalisable dans un quinquennat, il était parfaitement possible de résoudre les trois questions précédemment évoquées avant la fin du quinquennat, en lançant suffisamment tôt le prélèvement à la source pour qu’il soit effectif en 2016 et en rendant simultanément la CSG progressive pour tous les revenus inférieurs à 1,5 SMIC. Il aurait même été possible d’aller plus loin en intégrant le RSA dans le barème de l’IR pour le rendre universel tout en ouvrant en option l’individualisation de l’impôt, ce que proposa Benoit Hamon dans la campagne présidentielle.

Cette réforme aurait constitué une modernisation majeure de notre fiscalité, redonnant une progressivité et une cohérence complète à notre imposition des revenus sans qu’il soit nécessaire de fusionner 2 impôts profondément différents. Mais en lançant le pacte dit de « responsabilité » en janvier 2014, François Hollande étouffa dans l’oeuf le projet qu’il avait porté dans la campagne et que tentait de relancer Jean-Marc Ayrault, se contentant un an et demi plus tard, à la veille d’un congrès socialiste, d’un coup politique avec l’annonce du prélèvement à la source pour .... 2018.¨

Avec Macron le bricolage fiscal continue

La démarche de son successeur n’est guère différente : un coup politique de gauche, la suppression de la taxe d’habitation pour 80 % des foyers, un coup politique de droite, la suppression des placements financiers de l’assiette de l’ISF, et une réforme d’un autre âge rendant l’imposition des revenus encore moins progressive avec la hausse de la CSG en contrepartie de la baisse des cotisations.

La suppression de la taxe d’habitation pour les revenus inférieurs à 20 000 euros par an est certes une baisse d’impôt pour les ménages modestes, mais le résultat est un effet de seuil considérable qui conduira les contribuables proches du seuil d’exonération à payer la taxe d’habitation certaines années et à ne pas la payer d’autres années. Une vraie réforme consisterait, soit à remplacer la TH par une composante de l’impôt sur le revenu, soit à la plafonner en fonction du revenu, de façon plus large que le dégrèvement existant.

Coté ISF, quand on sait que les placements financiers représentent 90 % des patrimoines supérieurs à 10 millions d’euros, on réalise que l’exonération des placements financiers reviendra à le réduire essentiellement pour les plus gros patrimoines.  Réformer l’ISF pour en exonérer les plus riches, il fallait l’oser ! La vraie réforme qui s’impose, c’est celle de la taxe foncière car contrairement à l’assiette de l’ISF qui porte sur le patrimoine net de l’endettement, la taxe foncière porte sur le patrimoine brut et taxe de la même façon un gros héritage ou un logement acheté par endettement.

Reste l’augmentation de la CSG, cette contribution modeste à l’origine devenue un impôt profondément injuste. Quand Lionel Jospin prit une mesure comparable de transfert des cotisations vers la CSG, il posa simultanément la question de la progressivité de la CSG et, faute d’avoir pu la résoudre, créa en contrepartie un impôt négatif : la prime pour l’emploi. L’urgence aujourd’hui n’était pas ce transfert, mais la progressivité de la CSG.

Si le prélèvement à la source est seulement décalé, la vraie réforme fiscale est oubliée pour longtemps. Mais le bricolage a encore de beaux jours devant lui.