Quand l’exception culturelle rejoint la cohérence économique : limiter les effets d’une « TVA imbécile » sur l’importation d’œuvres d’arts

18
Oct
2013

L'Assemblée a adopté lors du débat budgétaire de vendredi l'amendement que j'avais déposé pour ramener à 5,5 % le taux de TVA applicable aux importations d'œuvres d'art, ceci afin de limiter les effets d'une aberration économique : la TVA appliquée à ce type d'importations. En effet, si l'exportation d'une automobile ou d'un Airbus enrichit notre pays parce qu'elle augmente la production et l'emploi, exporter la Joconde l'appauvrirait car son seul effet serait la perte d'un patrimoine irremplaçable. Ce n'est pas parce que la Joconde est une œuvre d'art et l'Airbus un bien industriel que l'exportation (et de façon symétrique l'importation) ont des effets inverses sur la richesse nationale : c'est parce que l'Airbus est un bien que le travail peut reproduire alors que la Joconde est un bien unique non reproductible dont la valeur n'a rien à voir avec la quantité de travail qui a été nécessaire à sa réalisation. Cette propriété s'applique évidemment à tous les biens non reproductibles, dont les oeuvres d'art originales pour lesquelles, contrairement aux biens traditionnels, c'est l'exportation qui appauvrit et l'importation qui enrichit.

C'est la raison pour laquelle les législations nationales évitent (en général) de décourager l'importation d'œuvres d'art et découragent en revanche les exportations par des taxes ou des interdictions. Ce n'est pas seulement la Joconde, mais l'ensemble des Trésors nationaux qui sont interdits d'exportation en France, et cela peut tout autant concerner une automobile ou un avion de plus de 75 ans.

C'est pourtant une subtilité qui a échappé à l'Europe lorsqu'elle a instaurée en 1991 une TVA à l'importation des œuvres d'art, qui est en réalité un droit de douane non récupérable dont l'impact est négatif sur le patrimoine, le marché de l'art et in fine les recettes fiscales. En décourageant l'importation d'œuvres qui seraient vendues sur le marché de l'art français, elle empêche en effet l'Etat de bénéficier des impôts qui résulteraient de cette transaction (TVA au taux normal sur la marge bénéficiaire des marchands, IS et IR). Comme il n'est pas possible pour des raisons communautaires de supprimer cette « TVA imbécile », il faut la mettre au taux le plus bas.C'est d'ailleurs ce que proposent pas moins de 3 rapports parlementaires.

Ci-dessous, la vidéo de mon intervention en séance.

 


Pierre Alain Muet amendement pour réduire la... par pamuet

Vous pouvez consulter ci-après le débat concernant mon amendement, ainsi que, dans le même esprit, mon intervention pour m'opposer au plafonnement de la taxe affectée au Centre National du cinéma. Ce n'est pas véritablement un impôt, mais un mécanisme de mutualisation des ressources d'un secteur en faveur du financement de la création, via un prélèvement sur la diffusion.

 

 

 Amendement TVA sur les importations d'œuvre d'art :

Extrait du Compte rendu de la séance de la commission des finances

du mercredi 9 octobre 21 h

Elle examine ensuite l'amendement I-CF 471 de M. Pierre-Alain Muet.

M. Pierre-Alain Muet. Cet amendement vise à corriger une aberration économique. En 1991, une directive européenne a instauré une TVA sur l'importation des œuvres d'art. Cependant, il existe une différence essentielle entre un produit classique et une œuvre d'art : l'exportation d'un produit classique enrichit la nation – elle favorise la production et l'emploi –, alors que l'exportation d'une œuvre d'art – par exemple La Joconde – l'appauvrit. L'œuvre d'art est un bien patrimonial unique, et sa valeur n'a rien à voir avec la quantité de travail qui a été nécessaire à sa réalisation. Nous devons donc nous garder d'appliquer les raisonnements économiques traditionnels aux œuvres d'art.

La TVA décidée au niveau européen a touché principalement deux pays où le marché de l'art est important : le Royaume-Uni et la France. Elle a découragé les importations d'œuvre d'art. Elle est d'autant plus absurde qu'elle fait perdre à l'État d'autres recettes fiscales. En effet, la marge réalisée par les marchands sur les ventes d'œuvres d'art est taxée au taux normal de TVA.

Trois rapports parlementaires ont été rédigés sur le sujet. Le dernier est celui de M. Lellouche sur La fiscalité du marché de l'art en Europe. Il conclut à la nécessité de supprimer cet impôt « imbécile ». Comme l'Union européenne ne l'a pas fait, je propose, avec cet amendement, de mettre son taux au niveau le plus bas possible.

M. le président Gilles Carrez. Je soutiens pleinement l'amendement de M. Muet. Il est très important de préserver un marché de l'art actif, notamment à Paris. Nous devons en effet raisonner de manière spécifique à propos des œuvres d'art.

M. Charles de Courson. La mesure proposée est-elle compatible avec le droit européen ?

M. le président Gilles Carrez. Oui. La suppression totale de la TVA ne le serait pas, mais l'amendement vise à appliquer un taux réduit.

M. le rapporteur général. Je connais bien le sujet. J'en ai notamment discuté avec la ministre de la culture et avec M. Muet.

À titre de clin d'œil, je précise que l'exportation de La Joconde est interdite.

Surtout, l'amendement est mal rédigé. En effet, il s'appliquerait à l'ensemble de l'article 278 septies du code général des impôts, lequel porte, premièrement, sur les importations d'œuvres d'art ; deuxièmement, sur les livraisons d'œuvres d'art effectuées par leur auteur ou ses ayants droit, c'est-à-dire sur les droits d'auteurs ; troisièmement, sur les livraisons d'œuvres d'art effectuées à titre occasionnel par les personnes qui les ont utilisées pour les besoins de leurs exploitations et chez qui elles ont ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ; quatrièmement, sur les acquisitions intracommunautaires d'œuvres d'art qui ont fait l'objet d'une livraison dans un autre État membre par d'autres assujettis que des assujettis revendeurs.

Or votre intention était sans doute de ne viser que les importations d'œuvres d'art. Si tel n'était pas le cas, la mesure aurait un coût trop élevé : l'application d'un taux réduit de TVA aux importations d'œuvres d'art représenterait un manque à gagner de quelques millions d'euros pour l'État – on peut considérer que c'est « l'épaisseur du trait » –, mais l'application de ce même taux aux droits d'auteur coûterait à lui seul bien davantage.

D'autre part, en accord avec la ministre de la culture et avec M. Muet, je proposerai de gager cet amendement en majorant le prélèvement sur les plus-values sur les œuvres d'art. Actuellement, les personnes qui réalisent de telles plus-values ont deux options : soit elles paient une taxe de 4,5 % sur le prix de vente ; soit elles s'acquittent d'un prélèvement de 16 % sur la plus-value qui s'éteint au bout de douze ans. Elles choisissent le régime qu'elles estiment le plus favorable. Je proposerai de porter le taux de la taxe de 4,5 à 6 %. En outre, les plus-values sur l'or sont soumises à une taxe analogue de 7,5 %, que je proposerai de porter à 12 %.

M. Hervé Mariton. N'étions-nous pas convenus, lors du débat budgétaire de l'année dernière, d'avoir une réflexion d'ensemble sur la fiscalité des œuvres d'art ? Le sujet est-il encore sur la table ?

M. le président Gilles Carrez. Il est toujours à l'ordre du jour. Cependant, nous devons nous en préoccuper dès maintenant, dans la mesure où le relèvement du taux de TVA de 5,5 à 10 % sur les importations d'œuvres d'art, prévu dans le PLF pour 2014, aurait un impact très négatif sur le marché de l'art.

Je partage l'avis du rapporteur général : il convient, d'une part, de récrire l'amendement de telle sorte qu'il concerne uniquement les importations d'œuvres d'art et, d'autre part, de gager la mesure. La proposition que fait le rapporteur général à cet égard va d'ailleurs dans le sens de plusieurs amendements que nous avons examinés au cours des dernières années, déposés notamment par M. de Courson.

M. Charles de Courson. Le raisonnement fait par M. Muet à propos des œuvres d'art peut en effet s'appliquer à l'or et aux bijoux. Actuellement, le marché français n'est pas compétitif, notamment face à ses concurrents anglais et allemand. Cela entraîne des délocalisations. D'après les spécialistes du secteur, la baisse de la taxation sur l'or et les bijoux permettrait de relancer fortement le marché français.

M. Marc Le Fur. Comme l'a dit récemment un collègue socialiste, tout est souvent affaire de symbole ! Or nous augmentons la TVA sur tous les biens, sauf sur les œuvres d'art.

M. le rapporteur général. Il y a d'autres exceptions : le logement social, les travaux de rénovation énergétique et les engrais biologiques.

M. Marc Le Fur. Certes, mais cela confirme bien que les œuvres d'art font l'objet d'un traitement fiscal particulier. Comment allons-nous expliquer aux Français les plus modestes, qui vont être fortement touchés par l'augmentation des taux intermédiaires de la TVA, que nous réduisons le taux sur l'importation des œuvres d'art ?

D'autre part, nous nous étions engagés à avoir une réflexion de fond sur l'ensemble de la fiscalité des œuvres d'art : non seulement sur la TVA à l'importation, mais aussi sur la taxation des plus-values et sur l'ISF.

M. Pierre-Alain Muet. Je retire mon amendement et en présenterai une version corrigée en vue de l'examen en séance publique.

S'agissant de la proposition du rapporteur général, nous pouvons également envisager de conserver un taux à 4,5 % sur les plus-values et d'augmenter la durée d'amortissement, qui est actuellement de douze ans pour les œuvres d'art. Pour d'autres biens, cette durée est de vingt-deux, voire de trente ans. Les spécialistes du marché de l'art observent que les vendeurs choisissent rarement l'option de la taxe à 4,5 %, car ils pensent conserver l'œuvre suffisamment longtemps pour être exonérés du prélèvement sur la plus-value. Or il peut être plus avantageux pour l'État de les inciter à choisir la taxation à 4,5 %.

M. le président Gilles Carrez. C'est une piste intéressante.

M. Marc Le Fur. Il convient d'approfondir notre réflexion avant de prendre une décision.

M. Pierre-Alain Muet. La problématique des œuvres d'art est distincte du débat général sur les taux réduits de TVA. Je le répète : c'est un bien non reproductible dont nous devons favoriser l'importation et décourager l'exportation.

M. Marc Le Fur. C'est tellement évident qu'on ne l'a pas fait depuis des années !

M. Pierre-Alain Muet. Je vous invite, monsieur Le Fur, à lire l'excellent rapport de M. Lellouche, qui conclut à la nécessité de supprimer la TVA sur les importations d'œuvres d'art. C'est non seulement une aberration économique, mais c'est en plus une TVA non récupérable, les œuvres d'art étant par ailleurs taxées au taux normal de TVA au moment de la vente.

L'amendement I-CF 471 est retiré.

 

Jeudi 10 octobre

Débat sur le plafonnement de la taxe affectée

au Centre national du Cinéma

M. Hervé Mariton. Je propose de réintégrer dans le périmètre de plafonnement la taxe sur les éditeurs et distributeurs de services de télévision, la TST, affectée au Centre national du cinéma, le CNC.

M. le rapporteur général. Défavorable : le CNC contribue déjà à l'effort budgétaire à hauteur de 150 millions cette année, et de 90 millions en 2014. Le montant de ses ressources affectées en 2014 serait équivalent à celui de 2013. Le prélèvement de 90 millions d'euros représente 13 % de ses ressources de 2014, soit plus que la moyenne des efforts demandés aux autres opérateurs de l'État. Cet amendement aurait pour effet de réduire davantage les ressources du CNC au titre de la TST-distributeurs. Le Gouvernement a décidé de ne pas plafonner ces ressources pour deux raisons : ces taxes sont volatiles et on attend la validation communautaire du bien-fondé de la TST-distributeurs.

M. Pierre-Alain Muet. Je veux défendre la logique économique de cette taxe, dont le produit est intégralement affecté à l'amélioration de la distribution des films et à la création cinématographique française. Ce n'est pas véritablement un impôt, plutôt un mécanisme de mutualisation des ressources d'un secteur en faveur du financement de la création, via un prélèvement sur la diffusion. C'est un dispositif extrêmement intelligent que beaucoup de pays nous envient parce qu'il a permis de sauver la création cinématographique en France. Si on pense que cette ressource est excessive, il faut modifier le taux de la taxe, mais plafonner son affectation n'a pas de sens.

M. Olivier Carré. J'incite M. Muet à lire les travaux que le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) a consacrés aux opérateurs de l'État, et notamment au CNC. Il ne faut pas confondre un modèle vertueux qui a fait ses preuves avec un mécanisme de subventionnement systématique de la création, même celle qui serait financée par le marché si les diffuseurs étaient moins taxés – je pense notamment à la télévision. Toute la question est de savoir si le CNC remplit la mission qui lui a été confiée par le législateur, ou si l'augmentation continue de ses ressources ne le conduit pas à excéder le rôle qui lui a été attribué.

M. Hervé Mariton. Le plaidoyer de M. Muet vaut pour beaucoup de taxes affectées et le caractère intelligent du dispositif ne justifie pas qu'on exclue cette ressource du plafonnement.

M. Pierre-Alain Muet. Quand la taxe est vraiment affectée, comme dans le cas d'espèce, il est absurde de plafonner son affectation.