Après la déroute des européennes, il y a urgence à retrouver l'esprit de 2012

28
Mai
2014

La déroute des élections européennes, plus cinglante encore que celle des municipales, impose plus que jamais un retour sur le désaveu de nos concitoyens

Nous reproche-t-on d'avoir mis en oeuvre les engagements de la campagne de 2012 ? Je ne le pense pas. Nos concitoyens, du moins ceux qui ont voté pour nous, nous reprochent surtout de ne pas comprendre ce que nous faisons aujourd'hui au regard de ce que nous avions annoncé.

La politique sur laquelle nous avons été élus en 2012 est-elle inadaptée à la situation de notre pays ? Je ne le crois pas non plus. Cette politique reste la réponse pertinente à la situation économique, pour notre pays comme pour l'Europe. Certes, les mesures concernant la compétitivité étaient insuffisantes dans notre programme électoral. Mais fallait-il pour autant que les mesures d'allègement sur les entreprises (41 milliards) représentent deux fois le montant de l'ensemble des 60 engagements de François Hollande et constituent l'alpha et l'oméga de notre politique économique ?

Car c'est précisément l'ampleur des ces allégements qui impose une réduction massive des dépenses publiques dans les 3 prochaines années, et non l'objectif de réduction des déficits. On peut demander des efforts importants à nos concitoyens quand il s'agit de réduire le déficit et d'arrêter l'hémorragie de la dette. C'est plus discutable quand ces efforts servent à financer un montant d'allègements dont l'efficacité mérite d'être discutée quand notre pays sort de 3 années de récession due à un effondrement de la demande. Et cela ne constitue certainement pas un projet de société.

On peut certes, dans le cadre d'une renégociation de l'ensemble des politiques européennes, remettre en cause l'ampleur des politiques d'austérité qui pèsent aujourd'hui encore sur la croissance européenne. Mais l'urgence en France, c'est de rééquilibrer le pacte en réduisant à la fois les allègements et le montant des coupes budgétaires qui les financent pour redonner du sens à notre action dans les 3 années qui viennent.

Dans la suite de cette note, ma tribune publiée vendredi dernier sur ce dernier thème dans « Acteurs de l'économie».

 

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Rééquilibrer le pacte de responsabilité

(Article publié dans Acteurs de l'économie, vendredi 23 mai 2014)

Mon désaccord sur le pacte de responsabilité ne porte pas sur la nécessaire réduction des déficits, mais sur l'ampleur des allègements fiscaux et son corollaire, l'ampleur des réductions de dépenses, dans un contexte où nous devons poursuivre la réduction des déficits.

Est-il raisonnable de programmer 46 milliards d'allègements dont 41 sur les entreprises quand nous devons donner priorité à la réduction des déficits ? Je ne le pense pas. Le rapport Pébereau qui avait alimenté le débat de la campagne présidentielle de 2007 avait fort justement plaidé pour ne pas procéder à des allègements d'impôt, tant que le déficit n'était pas revenu à un niveau raisonnable. La France a payé très cher les allègements d'impôts de Nicolas Sarkozy en 2007, qui nous ont valu d'aborder la crise en déficit excessif et ont été largement responsables de l'explosion de notre dette. Certes, les allègements proposés aujourd'hui concernent le système productif et non les Français fortunés, comme sous Nicolas Sarkozy. Mais ce montant est-il efficace ?

Pour les entreprises très fortement impliquées dans l'échange international, un allègement de fiscalité conduit assez rapidement à une hausse de l'emploi et de l'investissement. Pour ces entreprises dont le marché est mondial, ce sont les gains de compétitivité qui conditionnent leur développement. Mais, moins du tiers des allègements concernent des entreprises industrielles ou impliquées dans la compétition internationale. Quant à la grande majorité des autres, elles n'augmenteront l'investissement et l'emploi que si les perspectives de demande s'améliorent. Au moment où l'économie sort péniblement de 3 ans de récession due à l'effondrement de la demande européenne, l'effet dépressif rapide des réductions de dépenses risque de peser sur la reprise avant que les allégements aient un impact positif.

Les allègements de cotisations patronales ont un effet incontestable sur l'emploi lorsqu'ils sont concentrés sur les bas salaires, car en resserrant l'éventail des salaires, le SMIC a un impact négatif sur l'emploi que l'allégement de cotisation corrige. C'est d'ailleurs une politique « consensuelle » que la Gauche comme la Droite ont mis en œuvre depuis plusieurs années. Sur des salaires plus élevés, l'effet est en revanche beaucoup plus discutable et mériterait d'être évalué attentivement avant d'être mis en œuvre. Car on ne peut pas se permettre de gaspiller des ressources quand la contrepartie est une réduction des dépenses qui risque de remettre en cause des politiques sociales majeures.

Car si le pacte comporte 50 milliards de réduction des dépenses publiques en 3 ans, ce n'est pas principalement pour réduire les déficits, mais pour financer les allégements. On peut demander des efforts importants à nos concitoyens quand il s'agit de réduire le déficit et d'arrêter l'hémorragie de la dette. Mais quand ces efforts servent à financer une autre forme de dépense – fiscale cette fois –, il faut être assuré que les allègements sont plus efficaces que les dépenses qui sont supprimées en contrepartie. Or, jusqu'à présent aucun gouvernement n'a été capable de faire plus de 10 milliards de réduction de dépenses par an. Quand on se fixe des montants de réduction de dépenses difficilement accessibles, les politiques de gel et de rabot prennent le pas sur la modernisation de l'Etat et les chefs de bureau de la direction du budget sur les ministres de la république. On peut peut-être l'accepter pour réduire les déficits, c'est plus discutable pour financer des allègements fiscaux.

Enfin il faut s'interroger sur les effets à long terme de ces politiques de baisse du coût du travail. Depuis la seconde guerre mondiale, la France a toujours résorbé son déficit extérieur par des dévaluations – en d'autres termes par une baisse du salaire réel – alors que l'Allemagne a toujours été conduite à réévaluer sa monnaie. Cela explique que nous nous sommes spécialisés dans des secteurs ou la compétitivité par les prix joue beaucoup alors que l'Allemagne s'est spécialisée dans le haut de gamme. Ce qui est vrai pour les dévaluations et les réévaluations l'est aussi sur le plan fiscal et il faudrait y réfléchir quand nous mettons en œuvre ces politiques de baisse de coût du travail. Pour des économies développées, c'est l'innovation qui est le vrai facteur de compétitivité !

C'est enfin un tout autre univers politique que dessine ce programme de stabilité. Le chiffrage des 60 propositions de François Hollande sur lequel nous avons été élus représentait « 20 milliards d'euros à l'horizon 2017 ». Certes, il manquait dans le programme présidentiel des mesures sur la compétitivité et elles sont nécessaires, mais est-il raisonnable qu'elles soient presque deux fois supérieures au coût des 60 engagements du Président au point de bouleverser complètement l'équilibre de notre programme et de devenir l'alpha et l'oméga de la politique économique du gouvernement ?

En particulier, l'une des réformes majeure du programme de François Hollande, celle de l'imposition des revenus, s'est arrêtée à la première étape, alors même qu'elle était la réponse cohérente à une imposition des revenus archaïque. Certes, l'allègement de cotisation salariale est bienvenu. Mais le déséquilibre entre l'effort demandé aux ménages (gel des prestations et du point d'indice notamment) et l'ampleur des allègements accordés aux entreprises n'est optimal ni d'un point de vue social, ni d'un point de vue économique. En rééquilibrant le pacte, on conjuguerait mieux justice sociale et efficacité économique, tout en respectant la même réduction des déficits.