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"Pierre-Alain Muet, frondeur malgré lui"

11
Sep
2014

Retrouvez ci-dessous un article paru dans l'édition du 11 septembre de Libération:

pdfProfil - Libération 11/09/2014 (pdf).

 

Profil: Pierre-Alain Muet, frondeur malgré lui.  (Par Nathalie Raulin).

Economiste chevronné et modéré, ex-conseiller de Jospin, cet élu lyonnais a lutté durant deux ans en coulisses contre une politique de l'offre «absurde». Et se retrouve à faire cause commune avec l'aile gauche du PS.

Frondeur, Pierre-Alain Muet? Il y a encore six mois, pas un ténor socialiste n'aurait prédit que le vice président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, macro-économiste chevronné et ancien conseiller économique de Lionel Jospin, puisse faire un jour cause commune avec des députés pour la plupart issus de l'aile gauche du parti. François Hollande, dont ce néokeynésien partage les convictions mendésistes, moins que quiconque. Muet le modéré est entré en résistance. Signataire début avril de l'appel des 100. Abstentionniste fin avril sur le «pacte de responsabilité» puis, mi-juillet, sur le budget de la Sécu. Pourvoyeur de tribunes réquisitoires contre le virage économique acté le 14 janvier par le chef de l'Etat. Frondeur donc. «Je récuse ce terme dont on m'affuble aujourd'hui simplement parce que je dis ce que j'ai toujours dit, proteste le député. Mais je ne vais pas remettre en question quarante ans de publications et d'enseignement au prétexte que je suis dans une majorité», s'insurge-t-il. Et d'ajouter, accablé: «Quand le gouvernement glisse complètement à droite, jeme retrouve à gauche...»

Mendès France. A Pierre-AlainMuet, on ne peut prêter aucun de ces petits calculs carriéristes qui arment souvent les guérillas internes. La course au pouvoir n'a jamais été son affaire.Quand le maire de Lyon,Gérard Collomb, dont il est alors l'adjoint, le pousse à se présenter à la députation en 2007, c'est son quartier natal de la Croix-Rousse, fief historique du RPR, qu'il réclame comme terre de campagne. Contre toute attente, la circonscription bascule. Réélu en 2012 à 67 ans, Pierre-Alain Muet fait savoir qu'il ne se représentera pas... Son double intérêt pour la politique et l'économie, Muet dit les devoir à «l'intervention éblouissante» de Pierre Mendès France à l'Ecole centrale de Paris en 1965 où il est élève ingénieur. Mais son engagement militant, au PSU puis au PS, a toujours été subordonné à sa vocation de chercheur. Notamment à l'OFCE dont il devient, dès sa création en 1981, directeur du prestigieux département d'économétrie. Par déontologie, il rend sa carte du PS, et partage son temps entre publications touffues et cours magistraux à Polytechnique. «C'est un homme de raison, estime Jean-Marc Germain, son ancien élève aujourd'hui figure des frondeurs. Son soutien était fondamental pour crédibiliser le mouvement.» De ses travaux,Muet tire une conviction: «En économie, il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises mesures, tout dépend de l'environnement, de la conjoncture.» Et aussi une exigence intellectuelle, inspirée de Mendès et souligné par Jacques Delors qui lui remet la légion d'honneur: la réflexion est un gage de cohérence, sous entendu de réussite. Et à cette aune, le bât blesse: «Nous sommes face à un déficit de pensée économie, cingle-t-il. Un tel aveuglement ne s'était jamais vu depuis Bérégovoy.» Dans la bouche d'un homme réputé pour sa tempérance, le jugement est brutal. Une violence qui répond à une autre: l'annonce, le 14 janvier, par FrançoisHollande du pacte de responsabilité. «J'étais sonné comme un boxeur, se souvient Muet. Mener une politique de l'offre pour sortir d'une récession est le comble de l'absurdité économique.» Le député encaisse pourtant sans mot dire. Surtout, les colères publiques ne sont pas son genre. Question de tempérament. De fidélité aussi. «Pendant deux ans, il est resté les doigts sur la couture du pantalon, confirme la députée PS Karine Berger. Il pensait pouvoir régler les désaccords en interne.»

Apartés. C'est que Muet et Hollande se connaissent bien. Leur rencontre remonte à 1995 quand, la droite revenue au pouvoir, l'économiste rejoint les réunions du club Témoin, animé par Hollande et Delors. Le début d'une collaboration étroite sur les sujets économiques. C'est pourtant Martine Aubry, mieux à même selon lui de rassembler la gauche, que Muet soutient lors de la primaire de 2011. L'épisode distend le lien sans le rompre. Muet a, croit-il, l'entregent qu'il faut pour infléchir la ligne du gouvernement. Nombre de ministres sont de vieilles connaissances, à commencer par le premier d'entre eux. Jusqu'à fin 2013, il multiplie les apartés avec Jean- Marc Ayrault, n'hésitant pas à jouer la carte Matignon pour contrer Bercy. Mais la pratique élyséenne le trouble. L'absence de conseiller économique auprès du Président et l'anémie des débats interministériels avivent son inquiétude. Durant les premiersmois du quinquennat, Muet cherche à installer un comité d'experts autour de Hollande sur le modèle du Conseil d'analyse économique qu'il avait piloté sous Jospin pour l'aider à se forger une opinion. En vain. «Hollande voulait tenir à l'écart toute personne ayant une approche macro, poursuit Berger. A l'Elysée, c'était le règne des financiers.»

«Mal au ventre». Pour Muet, le coup de grâce vient en avril quand Michel Sapin, ministre de l'Economie, présente en commission des finances le Pacte de stabilité. «On a découvert que les allégements de charges pour les entreprises n'étaient pas de 31, mais de 41 milliards d'euros! tempête-t-il. Deux fois le montant des promesses de campagne pour des mesures qui n'avaient jamais été envisagées! » Emu aux larmes avant d'entrer dans l'hémicycle, Muet s'abstient sur le texte. «J'avaismal au ventre», admet-il. Fin juin, Hollande le reçoit une heure à L'Elysée.De l'entretien, le néokeynésien sort rasséréné, certain d'avoir convaincu le Président de l'urgence de renforcer contrats aidés et mesures en faveur de l'apprentissage. Une semaine plus tard, le rejet d'un amendement en ce sens au projet de loi de finances douche ses illusions. Le pire, Pierre-Alain Muet le sait, est à venir: «Pour financer les allégements aux entreprises, le gouvernement a prévu d'amputer les dépenses publiques de 21 milliards en 2015. C'est du jamais vu», s'indigne-t-il «Le maximum, c'était 10 milliards en 2012...On va devoir couper à la hache dans les prestations sociales et les investissements publics: l'austérité est devant nous.» En quête d'alternative, l'économiste revisite les analyses de Montebourg, dont le style jusque-là l'agaçait, et apporte volontiers son expertise aux Verts. «Ce n'est pas un écologiste mais il a un vrai sens de la pédagogie et une modération dans l'expression», confie Cécile Duflot qui dit échanger «beaucoup» avec lui. Muet ne désespère pas. Signe que le dogmatisme passé vacille, l'Elysée l'a appelé la semaine dernière pour savoir ce qu'il pensait d'une hausse éventuelle de TVA, idée très en cour à Matignon. «Une connerie économique et politique», a-t-il répondu en substance, en étant cette fois entendu. «Si je m'insurge, c'est pour qu'on réussisse», prévient Muet. Son souhait : que Hollande renonce à ce qu'il a annoncé. Le prix à payer selon l'économiste pour éviter d'acter pour longtemps la«défaite idéologique de la gauche».