Débat d’orientation budgétaire

16
Juil
2007

M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Muet.

Pierre-Alain Muet. Monsieur le ministre, ce matin, nous avons longuement débattu de la
situation budgétaire de notre pays pour 2006. Dans ce débat d'orientation budgétaire, vous nous
proposez, en quelque sorte, de réaliser dans le quinquennat qui s'ouvre ce que vos prédécesseurs
avaient promis dans celui qui s'est achevé, c’est-à-dire d’aboutir à l'équilibre des finances publiques
à la fin de la législature.

À cette même place, en 2002, votre prédécesseur, M. Francis Mer, s'était engagé à réduire chaque
année le déficit d'un demi-point de PIB pour atteindre l'équilibre en 2006-2007. Nous en sommes
loin. Non seulement la France a connu, pendant pratiquement quatre ans, des déficits excessifs,
mais le déficit n'est jamais revenu à ce qu'il était en 2001 – 1,5 % de PIB –, ou même à ce qu’il était
à l’été 2002 où il était compris entre 2,2 et 2,5 %. Il ne devrait pas non plus repasser au-dessous de
cette valeur dans les deux années qui viennent, puisque, d’après les projections dont vous avez fait
état, il se maintiendra à peu près autour de 2,5 % de PIB en 2007 comme en 2008.

Vous nous avez expliqué, monsieur le ministre, que votre stratégie économique et budgétaire
s'appuyait sur deux volets : des mesures fiscales ambitieuses pour relancer la croissance – c’est le
« paquet fiscal » dont nous terminons l'examen ce soir – et une maîtrise sans précédent des finances
publiques. Ce sont aussi, à peu de choses près, les mots employés par M. Francis Mer il y a cinq
ans. Réussirez-vous là où il a échoué ? Du côté de la maîtrise des dépenses publiques, nous verrons.

Du côté de la relance de la croissance, le « paquet fiscal » me laisse septique, comme il laisse
sceptique la grande majorité des économistes, de gauche ou de droite, qui l'ont analysé.
On peut, certes, concevoir une stratégie où des mesures d'incitation conduisent, de façon
temporaire, à un déficit public transitoire pour augmenter, à terme, la croissance potentielle de notre
économie. Mais comme la plupart des économistes, je ne vois rien de tout cela dans les mesures que
nous discutons depuis une semaine dans le cadre du projet de loi en faveur du travail, de l’emploi et
du pouvoir d'achat.

La mesure phare sur le pouvoir d'achat, l'exonération des heures supplémentaires, aura, selon deux
experts du Conseil d’analyse économique – dont on ne peut pas dire qu’ils sont favorables à la
réduction du temps de travail –, MM. Artus et Cahuc, « un effet incertain sur l'emploi et le revenu
global pour un coût exorbitant pour les finances publiques ». Une note commandée à la direction du
trésor par votre prédécesseur, Thierry Breton, tirait à peu près les mêmes conclusions en des termes
à peine différents.

Cette mesure ne concernera pas ceux qui ont le plus besoin de travailler davantage, c’est-à-dire ceux
qui sont au chômage, ou ceux qui voudraient bien travailler plus parce qu'ils sont à temps partiel
contraint. Car les salariés à temps partiel qui souhaiteraient travailler à temps plein – ils sont
1 million en France, à 80 % des femmes – n'ont pas la maîtrise de leur temps de travail, et une
mesure d’incitation ne changera rien. En outre, malgré cette mesure, la reprise économique sera peu
créatrice d'emplois, car les entreprises privilégieront le recours aux heures supplémentaires plutôt
que l'embauche.

J'ai le même scepticisme en ce qui concerne la déduction des intérêts d'emprunt immobilier. Une
telle mesure peut être pertinente dans une situation où il faut stimuler la demande de logements.
Mais cela n'est pas le problème actuel du secteur. Aujourd'hui, le problème de l'accès à la propriété
se trouve du côté de l'offre de logements à des prix accessibles. En stimulant la demande, vous allez
favoriser la spéculation foncière et la hausse des prix immobiliers. C'est d'ailleurs ce qu’indiquait, à
l’époque, une note de Bercy réalisée à la demande, là aussi, du ministre des finances, en
mentionnant « une fausse bonne idée » qui risquait d'accroître les prix immobiliers.

Il en est de même des mesures qui concernent les droits de succession. Supprimer les droits de
succession va nuire à la mobilité sociale,...car on ne construit pas une économie dynamique en la
fondant sur l'héritage. Comme l'écrivait Philippe Frémeaux et ainsi que l'a rappelé mon collègue
Jean-Pierre Brard dans un débat précédent, « une société où le pouvoir se transmet sans avoir à faire
preuve de mérite a un petit goût d'ancien régime ; c'est une société condamnée à la croissance lente
où les rentiers l'emportent sur les créateurs ». Je crois qu’on retrouve cette expression dans la
bouche de beaucoup de chefs d’entreprises, même de grandes entreprises, qui considèrent que
fonder l’essentiel de la transmission d’entreprise sur l’héritage n’est pas la meilleure façon de
construire une économique dynamique.

Aucune de ces mesures n'est susceptible d'accroître réellement l'offre potentielle de notre économie
qui en a pourtant bien besoin. Je rappelle que nous avons 30 milliards de déficit extérieur, ce que
notre pays n'a jamais connu dans le passé.

Pour développer la croissance potentielle, il serait plus pertinent d'utiliser autrement ces
13,6 milliards de cadeaux fiscaux. Par exemple, comme nous le proposions, nous socialistes, en
investissant massivement dans la recherche et dans l’enseignement supérieur. Ou en favorisant
l'innovation et l'investissement, notamment par la modulation du taux de l'impôt sur les sociétés en
faveur des bénéfices réinvestis. Ou encore en mettant l'accent sur l'entrée des jeunes dans la vie
active, car ceux pour qui travailler plus pour gagner plus a un sens sont bien les jeunes qui attendent
d'entrer dans la vie active.

Au lieu de cela, votre « paquet fiscal » comporte, au mieux, des mesures de pouvoir d'achat –
Mme la ministre ne s’en est d’ailleurs pas cachée durant nos débats –, mais à destination de ceux
qui n’en ont pas forcément le plus besoin.

Il en restera peut-être une relance par la demande. Et encore, ce ne sera pas la plus efficace car les
cadeaux fiscaux qui vont aux plus fortunés de nos concitoyens ne sont pas ceux qui ont l'impact le
plus évident sur la consommation.

Et encore faut-t-il, pour que l'effet reste positif, que l'État ne reprenne pas demain ce qu'il donne
aujourd'hui – le rapporteur général a lui-même utilisé cette formule –, comme cela s'est produit de
2002 à 2006 où, après une baisse de l'impôt sur le revenu, les prélèvements obligatoires ont
augmenté. Si vous compensez à terme ces cadeaux fiscaux par une hausse de la TVA, ce serait
profondément injuste, inégalitaire – le « paquet fiscal » l’est déjà –, mais aussi fortement négatif sur
la croissance et l'emploi.

Enfin, à une époque où l'Europe est en train de retrouver une croissance forte, qui était de 2,7 % en
2006 – la France étant à la traîne –, et qui pourrait, selon la prévision commune de trois instituts de
conjoncture, être proche de 3 % cette année, vous commettez la même erreur que celle qui a conduit
à la dérive et à la persistance des déficits à partir de 2002.

En privilégiant, dès le début de la législature, les cadeaux fiscaux au détriment d’une réduction
rapide de la dette et des déficits − vous prévoyez en effet que la dette ne reviendra à 60 % du PIB
qu’à la fin de la mandature, et les déficits resteront relativement importants en 2007 et en 2008,
proches de ce qu’ils sont actuellement −, vous courez le risque d’être incapables de faire face à un
éventuel ralentissement de l’activité économique mondiale ou européenne. Monsieur le ministre,
votre politique économique n’est donc pas seulement injuste : elle risque d’être profondément
inefficace. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche
et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).