28
Déc
2023

Pierre-Alain Muet, ancien conseiller de Lionel Jospin et député PS du Rhône, répond à nos questions après la mort de Jacques Delors ce mercredi.

Propos recueillis par Francis Brochet - Le Progrès du 28 décembre 2023

Quel est l’héritage européen de Jacques Delors ?

« Il a relancé la construction européenne, et l’a portée jusqu’à l’union monétaire, qu’il concevait comme un grand projet politique. Son apport a été essentiel : la preuve en est que, depuis son départ de la Commission, l’Europe s’est délitée. »

Pourquoi a-t-il réussi là où d’autres ont échoué ?

« Je pense que cela lui a été possible parce qu’il était un vrai social-démocrate, ce qui n’est pas très éloigné d’un chrétien-démocrate – les deux grandes tendances fondatrices de l’Europe. Il aimait prendre le temps de la discussion, du dialogue. Il l’a prouvé en France quand il s’est occupé du dialogue social, avant d’être ministre des Finances. Puis en Europe, alors que la construction européenne était totalement en panne. Il a pris son bâton de pèlerin, pour aller cherche le plus petit commun dénominateur entre les pays. Ce fut l’Acte unique, et il reconstruit à partir de ça. Cela demande d’avoir à la fois des convictions fortes et énormément de modestie, une combinaison très rare, exceptionnelle chez les politiques. C’était également, et ce n’est pas un hasard, le profil des pères fondateurs de l’Europe, comme Jean Monnet. »

Qu’appréciez-vous le plus chez lui ?

« Je l’ai consulté quand j’ai dû prendre des décisions importantes, car sa grande qualité était d’écouter ce que vous lui disiez. Et c’était un remarquable pédagogue, en tête à tête comme en public, avec une capacité impressionnante d’expliquer les choses très simplement. Il voulait convaincre, sans jamais employer d’argument d’autorité, en allant au fond des choses. Ce qui m’avait séduit chez Mendès France quand j’étais jeune étudiant, je l’ai retrouvé chez Jacques Delors. »

28
Déc
2023

Lors de l'entretien accordé aux journalistes du Progrès, en mars 2005, le président de la commission européenne continuait à s'émerveiller de l'Europe, « championne de la démocratie ». Accompagné de Pierre-Alain Muet, il a été reçu par Jean-Paul Lardy, directeur de la rédaction.

Quand Jacques Delors venait plaider pour l'Europe à LyonQuand Jacques Delors venait plaider pour l'Europe à LyonLe Progès du 28 décembre 2023

 

27
Déc
2023

Jacques Delors nous a quittés aujourd’hui. Avec lui disparait l’un des grands bâtisseurs de l’Union européenne. Mais aussi un homme politique qui incarnait, comme Pierre Mendès-France qu’il admirait, la morale en politique.

Dans la préface du recueil de ses discours que j’ai eu l’honneur de publier en 1996 sous le titre « Combats pour l’Europe », j’écrivais : « Pour porter ce projet atypique dans l’histoire d’une construction démocratique unifiant les peuples et les nations, il fallait une capacité d’écoute et de dialogue peu commune, combinée à une volonté tenace. Ecoute et volonté lui avaient permis de relancer la construction européenne, alors en panne au milieu des années 80, en partant du seul thème qui faisait consensus à l’époque : l’aboutissement du grand marché. Puis en s’appuyant sur cet acquis, de lancer simultanément les travaux sur l’union économique et monétaire et l’union politique, car pour lui l’union monétaire était étroitement liée à une avancée dans l’union politique ».

L’Europe ainsi renforcée put accueillir dans les décennies suivantes nos partenaires de l’Est qui s’ouvraient à la démocratie. Quand le mur de Berlin s’effondre, il soutient sans hésiter la réunification allemande, prélude à l’entrée des nations de l’est européen dans l’Union. On mesure aujourd’hui face aux menaces des dictatures, l’importance de l’union des démocraties de notre continent.

Jacques Delors c’était aussi la morale en politique. Une morale qui le conduisit à refuser en 1997 de prendre la tête d’une campagne présidentielle qui semblait acquise mais dont il n’était pas certain de partager les convictions. Quand Lionel Jospin fut candidat, il n’hésita pas en revanche à le soutenir et à présider son comité de soutien.

Aujourd’hui c’est une grande voix qui disparait. C’est aussi pour moi un homme qui a beaucoup compté dans mon engagement politique.

22
Jan
2023

Le paradoxe de la situation actuelle, c’est qu’il n’y a pas de nécessité à faire une réforme paramétrique des retraites puisque, comme le souligne le rapport du Conseil d’Orientation des Retraites (COR) de septembre 2022, malgré le vieillissement progressif de la population française, la part des dépenses de retraites dans le PIB resterait, à législation inchangée, sur une trajectoire maîtrisée à l’horizon 2070 et en général sur une trajectoire décroissante.

Ce résultat, qui était déjà souligné dans les rapports antérieurs du COR, peut paraître étonnant compte tenu du vieillissement attendu de la population qui alourdira le nombre de retraités au regard du nombre de cotisants. Mais il tient à la déconnexion entre l’indexation des retraites et celle des salaires. Les retraites sont indexées sur le prix depuis la réforme Balladur qui a supprimé leur indexation sur les salaires, alors que les salaires réels augmentent à long-terme comme la productivité du travail.

La croissance de la productivité du travail a donc pour conséquence que les salaires individuels augmentent plus vite que les retraites individuelles et cela fait plus que compenser l’augmentation relative du nombre de retraités, notamment lorsque cette croissance de la productivité est rapide.

Le graphique suivant issu du rapport du COR montre qu’à l’horizon de la projection (2070) les dépenses de retraites en % du PIB seraient stables dans l’hypothèse la plus pessimiste de faible croissance de la productivité du travail (0,7 % par an, courbe marron) et diminueraient dans toutes les autres hypothèses de croissance de la productivité (croissance de 1% par an, courbe orange ; 1,3 % courbe bleue ; et 1,7 % courbe verte). Cette part progresse légèrement en revanche jusqu’au début des années 2030 avant de se réduire ensuite.

Comme le souligne le COR, « Les résultats du rapport ne valident pas le bien fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraites ».

La suite de cette note montre que non seulement cette réforme est inutile mais qu’en augmentant l’âge légal auquel on peut faire valoir ses droits à la retraite de 62 à 64 ans, elle est profondément injuste, car elle ne va toucher que les salariés qui ont commencé tôt, font souvent les travaux les plus pénibles et sont les plus modestes.

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19
Jui
2022

« En 1981, la gauche ne pouvait pas revenir au pouvoir sans appliquer un programme ambitieux »

Le 18/06/2022

Pierre-Alain Muet
Economiste, ancien député

La gauche qui arrive à l’Elysée en 1981 voulait « changer la vie ». Son programme était bien loin de se résumer à une relance conjoncturelle, comme on le présente encore aujourd’hui. Son objectif était réellement de transformer la société, en accordant plus de place aux loisirs par la réduction du temps de travail et la retraite à 60 ans. La croissance devait autofinancer les avancées sociales. L’Etat devait jouer un rôle économique important grâce aux nationalisations, à la création d’emplois publics et au développement d’un capitalisme d’Etat qui devait servir à bâtir les fondements de la compétitivité de l’économie française.

Mais, voulant tout faire trop vite, le gouvernement a dû changer de cap. Lorsque Lionel Jospin, Dominique Strauss-Kahn et Martine Aubry accèdent au pouvoir en 1997, ils gardent en mémoire ce qui s’est passé au début du premier septennat de François Mitterrand, dont ils ont étudié de très près la politique économique. Leur but ? Mettre en place leur programme mais sans « pause, ni recul, ni reniement », dira Lionel Jospin lors de son discours de politique générale.

Pierre-Alain Muet était économiste à l’OFCE au moment de l’élection de François Mitterrand, il en a été l’un des observateurs clés (voir son livre sur le sujet paru en 1985). Puis, en tant que conseiller économique du Premier ministre Lionel Jospin, il a été au cœur du pouvoir socialiste. Avant de devenir député PS et de rejoindre les frondeurs contre le changement de politique économique de François Hollande. Dans cet entretien, il revient sur la dimension économique de la gauche au pouvoir.

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20
Avr
2022

Le scrutin du dimanche 24 avril 2022 n’est pas une élection comme les autres. On peut avoir des désaccords avec Emmanuel Macron. C’est mon cas, notamment sur certaines de ses propositions de politique économique et sociale.

Mais on ne peut pas s’abstenir quand la France risque de basculer dans la xénophobie, le repli sur soi, l’atteinte aux droits humains et le rejet des valeurs démocratiques qui ont fondé notre Union européenne.

On ne peut pas s’abstenir en pensant que le pire n’arrivera pas et regretter ensuite, comme au lendemain du Brexit ou de l’élection de Trump, de n’avoir rien fait pour l’empêcher quand il était encore temps.

Contre l’extrême-droite, le seul barrage, c’est de  déposer dimanche dans l’urne le bulletin Emmanuel Macron.

08
Avr
2022

Ces dernières années, j’espérais qu’une primaire rassemblant la Gauche et les écologistes aurait permis de converger vers un projet et une candidature communs à l’élection présidentielle. Cela n’a pas été possible.

Dans le contexte de division qui prévaut aujourd’hui, le seul vote utile au premier tour est un vote de conviction. Car comme Anne Hidalgo, je suis convaincu que « les grandes idées ne meurent jamais » et que le socialisme démocratique renaîtra de ses cendres comme il l’a fait avec François Mitterrand après la disparition de la IVème république et de la SFIO.

Quand la guerre que mène Poutine en Ukraine avec le soutien des régimes autoritaires est en fait une guerre contre les démocraties, nous avons plus que jamais besoin d’une Europe forte, y compris militairement au sein d’une Alliance atlantique rassemblant les démocraties.

Ma conviction n’a pas changé depuis des décennies : c’est en conjuguant social-démocratie, écologie et Europe que l’on reconstruira une gauche de gouvernement crédible.

Face à l’urgence climatique ce ne sont pas les discours mais les actes qui comptent. En recevant en octobre 2021 le Prix de l'Action climatique mondiale de l’ONU pour la mise en œuvre du Plan Climat à Paris, la maire de la capitale Anne Hidalgo a montré qu’elle était une femme de conviction et d’action.

Le 10 avril, je voterai Anne Hidalgo.

15
Jan
2021

Dans la principauté éclairée de Wiseland, le Prince qui avait lu les philosophes, voulait créer une protection sociale universelle consistant en un revenu de 600 écus versé à tout le monde. Il voulait le financer, soit par une extension de l’impôt sur le revenu déjà existant, soit par un nouvel impôt qui financerait exclusivement ce revenu universel. Son ministre des finances lui ayant objecté le coût excessif de cette proposition il fit appel à Zadig, qui conseilla en d’autres temps le roi de Babylone, pour lui demander de l’aide.

Le Prince : Mon cher Zadig, vous qui avez réglé la dispute entre les adeptes du temple, peut-être pourrez-vous m’aider à résoudre le conflit entre mon Ministre des affaires sociales et mon Ministre des finances au sujet de la mise en place de mon projet de revenu universel.

La proposition de mon Ministre des affaires sociales est de verser tous les mois à tous les citoyens de la principauté un chèque de 600 écus. Ce revenu universel serait financé par un nouvel impôt recouvré par le Ministère des finances. Mais mon Ministre des finances me dit que cela augmenterait de plusieurs centaines de milliards d’écus les dépenses et les recettes du royaume et rendrait notre principauté peu respectable au regard des banquiers des royaumes d’Europe.

Zadig : Mon Prince, puisque votre revenu est universel, il n’est pas nécessaire que ce soit votre Ministère des affaires sociales qui le verse. Le Ministère des affaires sociales est parfaitement compétent pour verser des allocations sous condition de ressources comme le sont la plupart de vos allocations où il faut prendre en compte différents critères personnels (logement, revenu fiscal de référence, composition de la famille...), avant de les attribuer. Mais puisque votre revenu est universel et ne dépend d’aucun critère, il peut être immédiatement versé à tous vos concitoyens par votre Ministère des finances.

Le Prince : Mais, Zadig, vous oubliez une chose. En m’inspirant d’autres royaumes européens, j’ai décidé de simplifier notre impôt sur le revenu qui est maintenant prélevé à la source. Je vais donc reverser à tous ceux qui payent déjà l’impôt sur le revenu un chèque de 600 écus, alors que j’ai supprimé dans l’autre sens le paiement par chèque de l’impôt sur le revenu ?

Zadig : Au contraire, mon Prince, c’est une excellente nouvelle ! J’avais souvenir que vous étiez la dernière principauté d’Europe à ne pas prélever l’impôt à la source, mais j’ignorais que ce n’était plus le cas. Cela change tout : plutôt que de faire un prélèvement et un versement tous les mois au même contribuable, vous allez simplifier énormément les choses. Vous allez faire les deux en même temps sans rien changer à votre projet initial de revenu universel.

Le Prince : Comment sans rien changer ?

Zadig : Puisque c’est le Ministère des finances qui prélève l’impôt et versera le revenu universel, il versera à chacun le revenu universel diminué de l’impôt sur tous les autres revenus. Pour ceux qui n’ont pas d’autres revenus, ce sera un versement de 600 écus. Pour les autres, le Ministère des finances leur versera ou leur prélèvera la différence entre le revenu universel de 600 euros et la nouvelle imposition du revenu.

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17
Fév
2020

Le discours de Périgueux du candidat Hollande proposait une véritable révolution fiscale : prélèvement à la source, fusion de l’IR et de la CSG dans un grand impôt progressif, suppression des niches fiscales. Si elle avait été mise en œuvre, François Hollande serait resté dans l’histoire comme le nouveau Joseph Caillaux, tant le changement était radical. Mais ces bonnes intentions ont commencé à s’effriter au cours de la campagne, notamment quand le candidat Hollande a chaussé les habits du favori déchu - DSK -, et elles ont carrément disparu des préoccupations du président élu.

Au-delà du recul du candidat au cours de la campagne, trois facteurs, qui se sont enchaînés dès le début du mandat, expliquent cet incroyable revirement de François Hollande au pouvoir.

Le premier est le choix de privilégier la réduction des déficits plutôt que la réforme fiscale, conduisant ainsi à une accumulation de hausses d’impôts plutôt qu’à une politique cohérente de réforme qui aurait dû commencer par le prélèvement à la source.

Le second est la conjugaison de cette accumulation d’impôts et des hausses programmées par son prédécesseur qui conduisit au « ras le bol fiscal ». Loin de faire la grande réforme fiscale annoncée dans la campagne, le gouvernement tétanisé par la question fiscale passa son temps à désamorcer les bombes laissées par son prédécesseur, laissant libre cours au bricolage fiscal des services de Bercy.

Le troisième facteur fut une bombe que le gouvernement alluma imprudemment lui-même dès le début du mandat, en commandant le rapport Gallois dont la conséquence fut de rétablir et la TVA sociale et d’engager le gouvernement sur un tout autre programme.

Et c’est la question oubliée lors de la campagne électorale - la compétitivité – qui va orienter la politique fiscale vers un tout autre sujet, conduisant à ce paradoxe que les principales réformes fiscales réalisées par François Hollande auront été celles que Sarkozy proposait dans sa campagne électorale. Un tournant que résuma Arnaud Montebourg avec une formule choc : « Les Français ont voté pour la gauche et ils se retrouvent avec le programme de la droite allemande ».

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03
Déc
2019

Le combat de la gauche pour une réforme fiscale tire son origine du constat d’une imposition des revenus devenue profondément injuste avec la création puis la montée en charge de la CSG et la réduction quasi continue de l’impôt sur le revenu. Constituée de deux impôts profondément différents, l’IR et la CSG, notre imposition des revenus commence en effet à un taux moyen très élevé (le taux de la CSG) qui pèse fortement sur la moitié la plus modeste de nos concitoyens. Elle n’est progressive que pour l’autre moitié (qui paye l’impôt sur le revenu), confortant en outre l’idée fausse que seule une moitié des Français paieraient un impôt sur le revenu, alors que tous payent la CSG.

C’est ce constat d’une imposition injuste et le rejet par le conseil constitutionnel de la dégressivité de la CSG pour les revenus modestes sous le gouvernement Jospin qui firent émerger à gauche la proposition d’une fusion de l'impôt sur le revenu et de la CSG pour créer un impôt unifié, prélevé à la source, assurant une véritable progressivité de l’ensemble de notre imposition des revenus.

Porté pendant plusieurs années par le PS, cette réforme deviendra le thème majeur de la campagne présidentielle de François Hollande. Le discours qu’il prononça en ce sens à Périgueux lors de sa précampagne présidentielle serait resté un moment fondateur du quinquennat si la réforme avait été réalisée. Mais au pouvoir, c’est un tout autre programme fiscal qu’il mit en œuvre.

La question de la réforme fiscale rebondira lors de la campagne présidentielle de 2017 avec la proposition novatrice de revenu universel portée par Benoit Hamon. Mal comprise pendant la campagne présidentielle, la fusion du revenu universel dans un impôt sur le revenu rénové est pourtant à la fois la réponse pertinente à l’injustice de notre imposition des revenus et le socle d’une protection sociale adaptée au XXI siècle.

C’est cette brève histoire que je développe en 3 parties :

  • 1ère partie : de l’échec de la CSG dégressive à la « révolution fiscale » du candidat Hollande,
  • 2ème partie : Comment le candidat de la « révolution fiscale » devint le président du bricolage fiscal
  • 3ème partie : une fiscalité et une protection sociale pour le XXIème siècle: la fusion du revenu universel et de l’impôt sur le revenu

La suite de cette note traite de la première partie : depuis l’échec de la CSG dégressive sous le gouvernement de Lionel Jospin jusqu’à la « révolution fiscale » du candidat Hollande.

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