Europe, austérité, Loi Macron : les idées décapantes de Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie

26
Jan
2015

Lors de sa conférence à l'Assemblée nationale le 13 janvier 2015, Joseph Stiglitz, l'un des plus grands économistes contemporains, prix Nobel d'économie, a dressé un panorama affligeant de l'idéologie dominante en Europe et des politiques économiques stupides qu'elle a inspirées, enfonçant l'Europe dans la dépression et la déflation.

Citant le diagnostic allemand selon lequel les déficits budgétaires excessifs et les rigidités structurelles seraient responsables de la crise, il l'a qualifié en s'excusant de s'exprimer clairement, dans un langage « ni diplomatique, ni académique : c'est une aberration totale ! L'Espagne et l'Irlande avaient des excédents et un faible ratio d'endettement avant la crise. La crise a provoqué les déficits, et non l'inverse. La raison pour laquelle les États-Unis s'en tirent mieux que l'Europe, c'est que nous n'avons pas succombé au crédo de l'austérité, tout du moins pas dans la même mesure. »

« ... L'idée que les problèmes structurels au sein des différents pays sont à l'origine des mauvaises performances économiques est une pure absurdité. La croissance de la productivité horaire en France avant la crise était honorable, et même aujourd'hui, dans certains secteurs comme la santé, la productivité française est incomparablement meilleure que celle des États-Unis. Ce ne sont pas les rigidités structurelles qui ont causé les bulles immobilières aux États-Unis et en Espagne. Ce ne sont pas les rigidités structurelles qui ont donné lieu aux excès du secteur financier, qui sont à la racine de la crise dont nous souffrons encore. »

« Bon nombre des soi-disant réformes structurelles qui sont demandées ne sont rien d'autre que des politiques qui réduisent le niveau de vie par le biais de salaires plus bas, d'une insécurité croissante de l'emploi et de prestations sociales inférieures. Comment peut-on prétendre que la meilleure façon d'élever le niveau de vie est d'adopter des politiques visant à les abaisser pour la grande majorité des citoyens? Ou encore des politiques qui augmentent le niveau déjà très élevé des inégalités, avec une distribution de la richesse plus inéquitable encore – en violation de l'un des principes clés de la Révolution française »

« Le problème auquel sont confrontés la France, l'Europe, et le monde est un déficit de demande globale (dû aux politiques d'austérité). Ce n'est pas un problème d'offre. Ainsi, bon nombre de ces réformes structurelles pourraient aggraver le malaise de l'Europe, en augmentant l'écart entre l'offre et la demande, aggravant ainsi la menace actuelle de déflation en France. »

« Les dévaluations internes (par la baisse du coût du travail) n'ont jamais marché, tout comme l'austérité n'a jamais marché. Si cela avait été le cas, l'étalon or n'aurait présenté aucun problème durant la Grande Dépression... Les améliorations qui se sont produites ces dernières années dans la balance courante ont été en grande partie la conséquence de la baisse des importations – résultant des efforts concertés pour affaiblir les niveaux de vie dans ces pays – et non de la hausse des exportations. »

Il critique les déréglementations aveugles qui peuvent nuire aux performances économiques, comme cela a été le cas dans le secteur financier, ainsi que les accords commerciaux nouvellement proposés qui se développent à l'écart d'un débat démocratique et peuvent avoir des effets néfastes sur l'emploi dans la conjoncture mondiale actuelle. Enfin, il plaide pour de vraies réformes structurelles corrigeant les défaillances les plus criantes de l'union monétaire

Dans la suite de cette note, l'intégralité de son intervention.

 

Restaurer la croissance

Joseph E. Stiglitz

Conférence à l'Assemblée nationale, 13 janvier 2015

(Traduit de l'anglais)

 

C'est avec grand plaisir que je m'adresse à vous aujourd'hui pour évoquer les défis économiques auxquels sont confrontés la France, l'Europe et le monde. Tout d'abord, permettez-moi d'exprimer mes condoléances concernant la tragédie qui a frappé votre pays la semaine dernière. Ceci ne fait que renforcer notre attachement aux valeurs dont la France est le symbole depuis si longtemps : liberté, égalité et fraternité. Ce sont les valeurs des Lumières, qui ont tant fait pour enrichir la vie et le bien-être des peuples, non seulement en France, mais à travers le monde.

Je vais cependant concentrer aujourd'hui mes remarques sur l'économie.

Tout d'abord, et vous le savez aussi bien que moi, l'économie française n'a guère été performante ces derniers temps. Le revenu par tête est inférieur à ce qu'il était en 2008, le chômage s'élève à un niveau inacceptable à 12%, et pire encore, le chômage des jeunes atteint 25%. Les coûts économiques de cette situation sont aujourd'hui manifestes. Nous gaspillons la ressource la plus précieuse de toute société : la ressource humaine. Ce qui est perdu aujourd'hui ne reviendra jamais. Les mauvaises performances économiques de la France aujourd'hui réduisent son potentiel de croissance future. La France, à l'heure présente et pour les années à venir, paie un prix élevé pour la mauvaise gestion de son économie.

Ces coûts ne sont pas simplement des chiffres abstraits inscrits dans les comptes nationaux et le PIB ; il s'agit de coûts réels, ressentis chaque jour par les citoyens dans les épreuves et difficultés imposées aux familles, dans la disparition des espoirs et des aspirations. Pour beaucoup, les coupes dans les services publics ne représentent pas simplement une coupe insignifiante dans des produits de luxes ou des produits secondaires, mais une réduction de ressources essentielles. Le contrat social qui lie l'ensemble de la société est affaibli, voire délité.

Ce qui se passe aujourd'hui n'est pas ce que l'on attend habituellement du fonctionnement des marchés. Il existe de vastes ressources sous-utilisées, au milieu d'énormes besoins économiques. Mais quelque chose ne tourne pas rond, non seulement en France, mais en Europe, et d'une certaine manière dans la plupart – mais pas tous – des pays avancés.

Les performances économiques de l'Europe au cours des sept dernières années ont été affligeantes. Celles de la France se sont inscrites dans la moyenne européenne : son taux de chômage est similaire à celui de l'Europe dans son ensemble, comme l'est son taux de chômage des jeunes. La plupart des pays d'Europe ont subi une baisse du revenu par tête et de la production par personne en âge d'activité.

Certains de ces pays sont en dépression – c'est le seul mot utilisable pour décrire ce qui se passe dans des pays comme la Grèce et l'Espagne, où le chômage dépasse 25% et le chômage des jeunes 50%, et le chiffre serait pire encore en l'absence de la vague d'émigration qui détruit les familles.

Même l'Allemagne, l'économie soi-disant la plus performante, ne brille que par comparaison. Sa croissance du revenu par tête a été faible ; et une grande partie de sa population a effectivement subi une réduction de son niveau de vie. La croissance décevante de son PIB s'est traduite par une augmentation des inégalités et des emplois à bas salaires. En des temps plus ordinaires, des évaluations impartiales attribueraient la note D à l'économie allemande. Ce n'est pas non plus un modèle que d'autres pourraient suivre, car son succès apparent dépend des excédents commerciaux, et par définition, tous les pays ne peuvent avoir des excédents. Si tous s'y essayaient, le monde plongerait dans une situation économique encore plus désastreuse.

Outre-Atlantique, les choses semblent mieux se porter concernant au moins deux aspects – la croissance et la création d'emplois. Mais en regardant au-delà des chiffres, on peut difficilement prétendre que le modèle américain fonctionne. La croissance depuis le début du nouveau millénaire a été dérisoire, et tous les bénéfices de cette croissance sont allés vers les hauts revenus. Le revenu médian est inférieur à ce qu'il était il y a un quart de siècle ; le revenu médian d'un travailleur à temps plein de sexe masculin est inférieur à ce qu'il était il y a quarante ans ; au bas de la pyramide, les salaires ne sont guère différents de ce qu'ils étaient il y a un demi-siècle. Le taux d'activité est le plus bas depuis que les femmes ont commencé à entrer en masse dans la population active. La réduction du taux de chômage est principalement due au fait que les travailleurs ont cessé de chercher un emploi, et même parmi ceux classés comme « actifs », un grand nombre occupent des emplois à temps partiel sans prestations ni protections sociales ; les gens souhaitant un emploi à temps plein ne peuvent en obtenir. Une économie qui ne parvient pas à répondre aux besoins de la plupart des citoyens est une économie défaillante, un système économique déficient. En ce sens, le système économique américain, au moins sur le dernier quart de siècle ou plus, est un système économique qui a échoué.

Si l'on compare la situation actuelle des Etats-Unis avec ce qu'elle serait sans l'avènement de la crise de 2008 – une crise « made in America » –, obtenue en prolongeant la courbe de croissance certes lente qui a émergé après 1980, la production est inférieure d'environ 15% et la perte cumulée atteint maintenant le billion de dollars (mille milliards) ; des sommes perdues qui ne seront jamais récupérées. Une analyse similaire pour l'Europe montre des résultats comparables, sauf que les pertes sont plus importantes. Et alors que l'écart entre la situation des États-Unis et celle où ils auraient dû être cesse enfin de s'accroître, cet écart continue à augmenter en Europe.

Que tant de pays se portent aussi mal laisse à penser qu'il ne s'agit pas seulement d'un problème français, ou d'un problème italien ou encore grec. C'est un problème systémique. Avant de pouvoir fournir une prescription, il nous faut avoir un diagnostic précis.

Le diagnostic vu d'Allemagne est simple. Les déficits budgétaires excessifs et les rigidités structurelles de ces pays en sont responsables. Permettez-moi de m'exprimer clairement dans un langage qui n'est ni diplomatique, ni académique : c'est une aberration totale. L'Espagne et l'Irlande avaient des excédents et un faible ratio d'endettement avant la crise. La crise a provoqué les déficits, et non l'inverse. La raison pour laquelle les États-Unis s'en tirent mieux que l'Europe, c'est que nous n'avons pas succombé au crédo de l'austérité, tout du moins pas dans la même mesure. (Fait intéressant : les Etats américains qui y ont succombé ont connu des performances inférieures). Aujourd'hui, l'une des raisons pour lesquelles les États-Unis sont à nouveau en croissance, c'est qu'à la fois les Etats et le gouvernement fédéral dépensent davantage.

L'idée que les problèmes structurels au sein des différents pays sont à l'origine de ces mauvaises performances est également une pure absurdité. La croissance de la productivité horaire en France avant la crise était honorable, et même aujourd'hui, dans certains secteurs comme la santé, la productivité française est incomparablement meilleure que celle des États-Unis. Les rigidités structurelles peuvent conduire à des inefficacités limitant le niveau de vie ; mais l'affaissement du niveau de vie qui a suivi l'austérité est incomparablement plus élevé. Ce ne sont pas les rigidités structurelles qui ont causé les bulles immobilières aux États-Unis et en Espagne. Ce ne sont pas les rigidités structurelles qui ont donné lieu aux excès du secteur financier, qui sont à la racine de la crise dont nous souffrons encore.

Bon nombre des soi-disant réformes structurelles qui sont demandées ne sont rien d'autre que des politiques qui réduisent le niveau de vie pour de larges fractions de la population, par le biais de salaires plus bas, d'une insécurité croissante de l'emploi et de prestations sociales inférieures. Comment peut-on prétendre que la meilleure façon d'élever le niveau de vie est d'adopter des politiques visant à les abaisser pour la grande majorité des citoyens? Ou encore des politiques qui augmentent le niveau déjà très élevé des inégalités, avec une distribution de la richesse plus inéquitable encore – en violation de l'un des principes clés de la Révolution française.

Certains utilisent la crise comme un prétexte pour démanteler l'État-providence, affirmant que la crise aurait démontré sa défaillance. Mais les échecs de l'Europe ne sont pas la conséquence de l'État-providence. Certains des pays les plus performants sont ceux disposant des systèmes de protection sociale les plus solides ; le ralentissement en Europe aurait été beaucoup plus aigu sans les stabilisateurs automatiques qui résultent de l'Etat-providence. En particulier, les réformes structurelles qui réduisent les salaires et la sécurité économique conduisent à une demande globale plus faible. Or, le problème auquel sont confrontés la France, l'Europe, et le monde est un déficit de demande globale. Ce n'est pas un problème d'offre. Ainsi, bon nombre de ces réformes structurelles pourraient aggraver le malaise de l'Europe, en augmentant l'écart entre l'offre et la demande, aggravant ainsi la menace actuelle de déflation en France. La véritable cause de l'échec de l'Europe réside ailleurs. Et je vais l'évoquer dans un instant.

Je souhaite auparavant ouvrir une parenthèse pour souligner que pour évaluer les avantages ou les coûts de toute réforme quelle qu'elle soit, nous ne devons pas nous préoccuper uniquement du PIB. Le principal message de la Commission internationale sur la mesure des performances économiques et du progrès social, que j'ai présidée, était que le PIB n'est pas une mesure appropriée pour le bien-être. Comme l'a si bien dit Robert Kennedy, le PIB mesure tout sauf ce qui est important dans la vie. Il ne mesure pas notre sens de la sécurité, ce qui concerne nos relations interpersonnelles, si nous sommes traités avec dignité ou non, si notre vie active a un sens, notre santé, la valeur de nos loisirs, le temps passé avec la famille ou dans la poursuite de nos intérêts et passions.

Bien sûr, dans chaque société des améliorations sont possibles. Aux Etats-Unis, nous avions une banque centrale persuadée que les marchés financiers fonctionnent plus efficacement lorsqu'ils évoluent sans entraves ; persuadée qu'une inflation faible et stable est non seulement nécessaire mais pratiquement suffisante pour garantir de forts taux de croissance ; persuadée que l'économie « trickle down » représentait la meilleure solution – selon laquelle donner suffisamment aux riches bénéficie en fin de compte à tout le monde – de sorte qu'elle n'avait pas à porter son attention sur les conséquences distributives de sa politique. Nous savons désormais que chacune des ces propositions est erronée, et nous voyons désormais la banque centrale se préoccuper du chômage et du marché de l'emploi, réalisant que les marchés financiers doivent être régulés et que l'inégalité est un problème économique national. C'est une réforme qui – si elle n'est pas obstruée – entraînera de meilleures performances économiques. Mais, comme nous le verrons dans un moment, la Banque Centrale Européenne est empêtrée dans un mandat construit sur la base d'une idéologie fausse qui a échoué. Même les changements timides – on ne peut pas les appeler des réformes profondes – proposés par Draghi ont suscité des résistances.

Quel est donc le problème fondamental auquel sont confrontés les pays européens en général, et la France en particulier, s'il ne s'agit pas des rigidités structurelles ?

Le premier problème, auquel j'ai déjà fait allusion, est la poursuite excessive des politiques d'austérité, qui ont exacerbé la baisse de la demande globale privée.

Il existe également un problème structurel, mais il s'agit d'un problème lié à la structure de la zone euro et non à celle des pays individuels. Il n'est pas facile de faire fonctionner une monnaie unique au sein d'un ensemble de pays aussi divers que ceux de la zone euro. L'euro était un projet politique, mais qui manquait de volonté politique pour créer un cadre économique lui permettant de fonctionner. Et pour aggraver le tout, la compréhension du cadre nécessaire à son fonctionnement – censé aboutir à la convergence – était erronée. Et pourtant certains estiment qu'il faut persister : aller encore plus loin dans une politique qui n'a jamais marché. Pour remplacer les ajustements nécessaires qui se seraient normalement déroulés à travers les changements de taux de changes, certains appellent à une dévaluation interne – un mot élégant pour dire que les prix en France devraient baisser. Ils appellent implicitement à la déflation, suggérant que des exportations accrues combleraient la réduction de la dépense publique. Encore une fois, c'est une absurdité. Les améliorations qui se sont produites dans la balance courante ont été en grande partie la conséquence de la baisse des importations – résultant des efforts concertés pour affaiblir les niveaux de vie dans ces pays – et non de la hausse des exportations. Les dévaluations internes n'ont jamais marché, tout comme l'austérité n'a jamais marché. Si cela avait été le cas, l'étalon or n'aurait présenté aucun problème durant la Grande Dépression. Maintenant, non seulement nous savons à quel point la déflation est nuisible à l'économie, car le fardeau des dettes s'accroît, mais nous savons en outre pourquoi.

L'Europe a créé un système instable, où l'argent et les individus hautement qualifiés affluent des pays pauvres vers les pays riches, exacerbant les différences existantes et générant divergence plutôt que convergence. L'Europe a créé des crises de dettes souveraines qui n'existaient pas auparavant.

Il existe désormais au sein de la pensée économique une reconnaissance commune des réformes structurelles nécessaires pour faire fonctionner l'euro. La plupart des détails sont suffisamment familiers et il me suffit ici de les énumérer : une union bancaire commune, impliquant non seulement une supervision commune mais une assurance commune des dépôts et un mécanisme de résolution commun ; des eurobonds, ou une manière similaire de générer des financements adossés à l'ensemble de l'Europe ; un cadre fiscal commun plus solide et non un pacte partagé de suicide par l'austérité ; enfin une solidarité réelle, avec un fonds de solidarité pour la stabilisation conjoncturelle et la croissance, une politique partagée pour lutter contre le chômage et des investissements communs pour construire l'Europe du futur.

Mais ce n'est pas tout. La convergence nécessitera des politiques industrielles permettant aux pays moins avancés d'avoir plus de chance de rattraper le peloton ; des politiques de réglementation orientant les fonds à l'écart de la spéculation dans l'immobilier et dans l'investissement productif pour créer des emplois et augmenter la productivité ; des politiques d'innovation évitant l'innovation destructive du secteur financier au profit d'une innovation de création, enrichissant la vie des individus et protégeant l'environnement que nous partageons tous. (Cette innovation présumée dans le secteur financier n'a pas entraîné l'augmentation des niveaux de vie, ni même la croissance, mais se concentrait essentiellement sur la manière de contourner les réglementations destinées à enrayer l'instabilité et prévenir les abus).

L'Europe doit également changer le mandat de la BCE, pour se préoccuper davantage de la croissance, de la stabilité financière, de l'emploi et des inégalités. Son attention presque exclusive sur l'inflation a été adoptée à une époque où les idées néolibérales dominaient le débat. Alors même qu'à cette époque, les études économiques sur les conséquences de l'information imparfaite, les asymétries d'information, la concurrence imparfaite et la théorie des marchés incomplets montraient que de telles doctrines comportaient de graves lacunes, les événements de 2008 auraient dû ôter tout doute restant. Les politiques basées sur ces doctrines sont donc à repenser.

Telles sont les réformes structurelles nécessaires, et qui pourraient tant faire pour atténuer l'impardonnable gaspillage de ressources qui a marqué les économies européennes de ces dernières années. Il faut donc des réformes dans les politiques économiques, mais des réformes structurelles faciliteraient, et même dans certains cas permettraient de telles réformes des politiques. Il faut passer des politiques d'austérité à des politiques de croissance. Les dirigeants européens l'ont dit à maintes reprises, mais n'ont rien fait à ce sujet. Les pays bénéficiant de la plus grande marge budgétaire doivent l'utiliser à bon escient. Étant donné les interdépendances en Europe, la croissance dans ces pays bénéficierait à toute l'Europe. Plutôt que de compter sur la déflation dans les pays avec des comptes courants déficitaires, on devrait encourager un degré d'inflation dans les pays excédentaires. Le fétichisme de l'inflation modérée n'est rien d'autre que cela : du fétichisme ; les dommages causés par la déflation sont bien plus graves. Des augmentations importantes du salaire minimum en Allemagne pourraient y contribuer, ainsi qu'aider à lutter contre l'inégalité croissante dans ce pays. Les institutions existantes, comme la Banque européenne d'investissement, devraient investir bien davantage et aider à combler le déficit causé par la faiblesse des investissements privés et des prêts bancaires, en particulier aux petites et moyennes entreprises.

Les problèmes auxquels la France est confrontée sont largement créés au-delà de ses frontières, par la structure et les politiques de la zone euro. Ce sont des problèmes européens nécessitant une solution collective européenne. L'euro a été créé pour favoriser la solidarité européenne. Il a eu exactement l'effet inverse. Ce qui est nécessaire aujourd'hui, c'est un réengagement envers les principes de solidarité européenne sur lesquels l'euro a été créé. Cette solidarité est incompatible avec le leitmotiv que l'Union européenne n'est pas une union de transfert.

Il sera difficile, voire impossible, pour la France de revenir à une croissance robuste si elle reste dans une zone euro tardant à faire les réformes structurelles nécessaires et empêtrée dans des politiques d'austérité qui n'ont pas fonctionné et ne fonctionneront pas. Pourtant, il y a certaines choses que la France peut faire seule. Certaines mesures sont déjà en cours. Mais trois idées prédominantes sont à repenser.

Tout d'abord, la France continue de souffrir du fétichisme du déficit. Dans l'évaluation d'une entreprise, jamais on ne considère un seul côté du bilan. On regarde à la fois l'actif et le passif. Si un pays emprunte de l'argent pour faire des investissements à haut rendement dans la technologie, l'éducation ou les infrastructures, ce pays s'enrichit. Quand il existe des ressources sous-utilisées, comme c'est le cas aujourd'hui, le pays est plus riche, dans le présent comme dans l'avenir. De la même manière, la privatisation telle qu'envisagée maintenant en France (le projet de loi Macron) ne rendrait pas le pays plus riche, à moins que les actifs ne soient vendus à des étrangers à des prix supérieurs à leur valeur. Mais ces actifs seront probablement sous-évalués, comme cela est presque toujours le cas lorsqu'ils sont vendus en période de ralentissement économique. En conséquence, le pays s'appauvrira, et le bilan financier pour l'Etat – mesuré de manière appropriée – en sera réduit, même si la dette publique à court terme est réduite.

Deuxièmement, beaucoup en France semblent encore croire que la réduction du taux d'imposition des sociétés aura un effet significatif pour stimuler l'investissement. Pour l'essentiel, l'investissement marginal est financé par la dette et les intérêts sont déductibles de l'impôt, de sorte que le taux d'imposition affecte à la fois les rendements marginaux et les coûts marginaux de façon symétrique. Certes, nos PDG font tout ce qu'ils peuvent pour vous persuader de réduire les impôts – de sorte qu'ils puissent se verser des bonus accrus et davantage de dividendes à leurs actionnaires. Mais ne vous attendez pas une hausse de l'investissement ou de la croissance.

En revanche, augmenter en parallèle les impôts et les dépenses publiques entraîne ce qui est depuis longtemps connu comme un multiplicateur de budget équilibré ; et si les impôts et les dépenses sont choisis avec soin, ce multiplicateur peut s'avérer très élevé.

Le troisième point concerne la déréglementation, une autre série de questions soulevées par le projet de loi Macron que l'Assemblée nationale examine en ce moment. Le projet de loi contient en particulier une série de mesures visant à déréglementer les professions actuellement réglementées. Dans l'évaluation de toute réforme réglementaire, il faut considérer attentivement la raison pour laquelle le règlement fut initialement introduit. Souvent, ces règles offrent des garanties importantes pour le public, la protection de notre environnement, la santé et la sécurité. Dans certains cas, elles empêchent des pratiques trompeuses et anticoncurrentielles. Certes, nous devons nous demander si cette réglementation réussit à atteindre ses objectifs de la meilleure façon qui soit. Mais une déréglementation aveugle peut effectivement nuire aux performances économiques, surtout si l'on mesure ces performances économiques correctement, comme je l'ai suggéré précédemment. Sans aucun doute, la déréglementation du secteur financier a entraîné une baisse de la productivité à long terme, davantage d'instabilité, une plus grande inégalité ; aujourd'hui, nul ne prétendra que cette déréglementation, telle qu'elle s'est produite, a entraîné de meilleures performances économiques.

L'Europe est confrontée aux problèmes particuliers posés par l'euro. Mais il existe certains problèmes communs à long terme auxquels sont confrontés tous les pays avancés. En lieu et place des ces politiques d'austérité erronées, la récession aurait pu devenir le bon moment pour consacrer plus de ressources pour prendre ces problèmes à bras le corps. Nous verrions alors des économies plus fortes, à la fois aujourd'hui et pour l'avenir. Au lieu de cela, des deux côtés de l'Atlantique, nous avons laissé ces problèmes s'envenimer.

Il existe quatre problèmes sur lesquels je souhaiterais attirer l'attention :

Dans tous les pays avancés, des transformations structurelles sont nécessaires, à mesure que nous passons d'une économie manufacturière à une économie de services, et que nous nous adaptons aux nouvelles réalités géopolitiques et aux changements associés en matière d'avantage comparatif. Globalement, le nombre d'emplois dans le secteur manufacturier continuera à baisser, la croissance de la productivité dépassant celle de la demande ; et la part des emplois globaux situés dans les pays avancés sera également en baisse. Il restera certains marchés niches importants, et il est important de les cultiver. Mais nous devons également faire face à la réalité : nous devons restructurer nos économies et créer de nouveaux emplois dans d'autres secteurs. Les marchés n'accomplissent pas à eux seuls et de manière satisfaisante cette transformation – une autre raison pour laquelle des politiques d'emploi et industrielles actives sont nécessaires. Or, de telles politiques sont proscrites, ou tout du moins découragées, dans le cadre économique de l'UE.

Il me faut dire ici un mot sur les accords commerciaux nouvellement proposés. Ils sont promus sur la base de leur potentiel en matière de création d'emplois. Les accords commerciaux sont toujours promus sous un tel prétexte, et si leur contribution à l'emploi était réelle, les travailleurs en seraient leurs plus fervents supporters. La réalité est souvent différente, et le fait que les dirigeants politiques aient essayé de travestir ces accords commerciaux de cette manière sape toute confiance envers eux, et rappelle s'il le faut aux citoyens à quel point nos gouvernements reflètent les intérêts de ceux au sommet.

La « logique » selon laquelle les accords commerciaux créent des emplois comporte de nombreuses failles. Pour n'en citer qu'une : les gouvernements à travers l'échiquier politique soulignent à juste titre les emplois créés par l'augmentation des exportations. Mais la balance commerciale nécessite que les importations égalent plus ou moins les exportations, et aucun pays ne signerait un accord déséquilibré dans lequel ses importations augmentent sans que les exportations le fassent de manière proportionnelle. Les exportations d'un pays sont les importations d'un autre. Mais si les exportations créent des emplois, les importations en détruisent. Alors se pose un calcul minutieux et complexe : davantage d'emplois sont-ils créés ou détruits? Il est plausible que des accords commerciaux équilibrés détruisent des emplois, pour au moins certains des partenaires commerciaux. En effet, dans un monde contraint par la demande globale – comme l'Europe et l'Amérique le sont aujourd'hui – l'emploi agrégé serait amené à baisser, car les producteurs nécessitant moins de travailleurs gagnent au détriment des autres, mettant encore plus de pression sur les salaires et les revenus, avec des retombées sur l'emploi et la croissance.

L'analyse que je viens de fournir suppose que les marchés fonctionnent bien. Mais ces dernières années, l'économie européenne n'a pas bien fonctionné : le niveau de chômage est élevé, qu'il soit formel ou déguisé. Il est plus facile de détruire des emplois que d'en créer de nouveaux. La concurrence des importations peut détruire des emplois du jour au lendemain. L'expansion des exportations exige l'expansion des entreprises existantes et la création de nouvelles entreprises. Mais lorsque les marchés financiers fonctionnent mal – comme c'est le cas en Europe – les entreprises souhaitant s'élargir ne peuvent souvent pas obtenir le capital nécessaire à leur expansion. De même, les entrepreneurs souhaitant lancer une nouvelle entreprise ne peuvent pas obtenir le financement dont ils ont besoin.

Le point sans doute le plus important est que la responsabilité du fonctionnement de l'économie ne devrait pas dépendre des seuls échanges commerciaux, mais des autorités monétaires et budgétaires. Certes, elles ne se sont pas acquittées de la tâche avec grand succès. Mais il est tout simplement peu probable que les échanges commerciaux puissent corriger ces défaillances. En effet, si ces autorités faisaient bien leur travail et que l'économie connaissait le plein emploi, et s'il était vrai qu'un accord commercial pouvait créer de nouveaux emplois nets, alors la BCE réagirait en augmentant les taux d'intérêt, contrebalançant ainsi les avantages présumés de création d'emplois de l'accord commercial.

La mauvaise foi n'est jamais la meilleure politique, et la promotion malhonnête de ces accords commerciaux est un nouveau nadir en matière de politique publique.

Encore plus inquiétantes sont les dispositions pudiquement classées sous le label « dispositions d'investissement », apparemment conçues pour protéger les droits de propriété. Qui peut être contre cela? Mais pourquoi de telles dispositions dans un accord avec l'Europe? Le droit de propriété est adéquatement encadré en Europe – tout autant qu'aux Etats-Unis. Et si quelque chose n'allait pas au sein du système de droits de propriété en Europe, pourquoi souhaiter le corriger seulement pour les firmes étrangères et non pour les entreprises européennes ? L'Europe, elle aussi, dispose d'un bon système réglementaire et judiciaire. Pourquoi remplacer un système d'arbitrage (dans le cas évoqué, entre les entreprises et les Etats) bien établi et bien conçu, doté de protections pour les deux parties et de procédures transparentes reposant sur des précédents juridiques forts, par des procédures d'arbitrage tenues en secret, avec des arbitres ayant souvent des conflits d'intérêt avec des positions dans d'autres cas, sans clauses adéquates pour recours ni contrôle judiciaire ? Si la forme particulière des procédures judiciaires demandées par ces accords est vraiment meilleure, pourquoi ne les utilisons-nous pas plus généralement ? Et si tel était le cas, ne devrait-il pas exister un débat national en Europe, impliquant le Parlement européen et les assemblées nationales dans les différents pays conduisant les délibérations – et non seulement le Représentant américain au Commerce et le Commissaire européen au Commerce ?

Compte tenu du niveau peu élevé des tarifs actuels, le véritable objectif de ces accords commerciaux est on ne peut plus clair : il s'agit simplement d'un exercice d'évasion de la part des intérêts corporatifs, pour essayer d'obtenir par le biais d'un accord commercial le type de régime réglementaire qu'ils n'auraient pas le moindre espoir d'obtenir à travers un débat démocratique et ouvert. C'est une tentative d'affaiblir les protections des travailleurs, des consommateurs et de l'environnement mises en place au cours des cinquante dernières années, et même les garanties les plus récentes mises en place pour limiter les excès du secteur financier. Car ces accords semblent avoir la capacité de limiter, à la fois en Europe et aux États-Unis, l'aptitude à réglementer le secteur financier.

L'autre aspect dangereux au sein des dispositions prévues concerne la propriété intellectuelle. Les droits de propriété intellectuelle sont importants, mais comme je l'ai si clairement constaté à travers mon rôle auprès de l'administration Clinton lors des discussions sur les négociations commerciales du Cycle d'Uruguay, les dispositions contenues dans les accords commerciaux ne sont pas celles conçues pour faire avancer le progrès de la science. Si c'était le cas, elles seraient supervisées par nos académies et ministères scientifiques. Elles sont conçues pour enrichir les coffres des entreprises, en particulier dans les secteurs pharmaceutiques et des loisirs. En effet, beaucoup craignent que les dispositions actuelles aboutissent à retarder le progrès scientifique.

Les dispositions concernant la propriété intellectuelle au sein des nouveaux accords visent particulièrement les produits génériques. C'est une ironie amère que de constater que le président Obama, ayant combattu si âprement en faveur d'un projet de loi visant à créer un système de santé plus efficace, susceptible de réduire le coût des soins, compte maintenant saper ses propres efforts avec un accord qui fera presque certainement grimper les prix des produits pharmaceutiques. Et ces prix seront poussés à la hausse non seulement aux États-Unis, mais également en Europe.

Pour en revenir au thème plus général : la crise actuelle a détourné l'attention des grands problèmes que la France et d'autres pays industrialisés auraient dû affronter. Une seconde préoccupation concerne l'inégalité croissante, qui déchire le tissu social et affaiblit la démocratie. Avant la crise, la France était l'un des rares pays étant parvenu à éviter, conformément à ses valeurs traditionnelles, les fortes tendances inégalitaires qui ont marqué les États-Unis et d'autres pays avancés.

Tout d'abord, des questions morales se posent : l'ampleur des inégalités telles qu'elles existent aujourd'hui, la manière dont elles se sont créées, l'absence d'égalité des chances... tout cela est-il moralement acceptable? Mais en outre, comme je le soutiens dans mon livre Le Prix de l'inégalité, des questions économiques se posent également. L'inégalité affaiblit nos économies. Je crois en effet qu'elle a joué un rôle important dans la création de la crise, et que cela contribue à expliquer la lenteur de la reprise, surtout aux Etats-Unis, où l'inégalité est plus accentuée – et contrairement à la perception populaire, l'égalité des chances y est inférieure à ce qu'elle est dans les autres pays industrialisés. Dire cela, ce n'est pas souhaiter la création d'une société complètement égalitaire; c'est dire simplement que lorsque l'inégalité atteint les extrêmes qu'elle a atteint dans de nombreux pays industrialisés, les conséquences néfastes sont immenses.

La montée des inégalités viole l'un des principes fondateurs de la première République, un principe encore cher à beaucoup non seulement en France, mais dans d'autres pays qui partagent ses valeurs héritées des Lumières. Inévitablement, la solidarité sociale se dégrade et le contrat social commence à se déliter dans les sociétés affectées par de tels niveaux d'inégalité.

Le troisième problème clé concerne l'environnement, et en particulier le réchauffement climatique – et je ne peux ici que le mentionner brièvement. Si les pays industrialisés avaient adopté une taxe carbone, nous aurions fourni aux entreprises des incitations à réduire les émissions et à innover en ayant recours à des technologies à émissions inférieures, tout en créant des revenus tant nécessaires. Un nouveau secteur industriel écologique et innovant, ici en Europe, aurait pu voir le jour. Si les entreprises avaient été en mesure d'obtenir les financements nécessaires (à partir d'un système financier restructuré, plus ciblé sur les prêts aux vraies entreprises que sur les manipulations de marché ou la spéculation), la taxe carbone aurait ainsi généré davantage d'investissements et une économie beaucoup plus solide — à la différence d'une augmentation des taxes sur la valeur ajoutée, qui sont régressives et réduisent les revenus réels des citoyens ordinaires. Si une taxe d'ajustement aux frontières avait été ajoutée, les pays récalcitrants, comme les États-Unis, auraient été incités à agir ; et dans le cas contraire, la France aurait reçu des revenus et ses entreprises auraient été protégées contre une concurrence américaine déloyale.

La quatrième question clé est également le sujet de mon dernier livre, Créer une société du savoir, qui paraîtra en français dans un avenir pas trop lointain. J'ai entamé ce discours en me référant aux valeurs des Lumières. Ces valeurs sont non seulement le fondement de notre civilisation, elles sont également la base de notre économie. Pendant des milliers d'années jusqu'au milieu du XVIIIe siècle, les niveaux de vie étaient stagnants. Depuis, les revenus et l'espérance de vie ont considérablement augmenté. A l'origine de cet essor figurait l'esprit même des Lumières, la remise en cause de l'autorité et des systèmes de préservation de l'ordre ancien, conduisant au développement de la science moderne, à la révolution industrielle et nos à institutions démocratiques. Au cœur de ces progrès économiques persistants figuraient la création et l'expansion d'une société du savoir. Le savoir est affecté non seulement par notre système éducatif, mais par tous les aspects de notre système économique et social. L'un des objectifs de mon livre est d'illustrer cela, en montrant par exemple comment un système de propriété intellectuelle mal conçu peut entraver le savoir et l'innovation, voire même la santé, en particulier dans les pays en développement. Je soutiens également que l'on ne peut séparer le savoir de la démocratie. Ce n'est pas par accident que la philosophie des Lumières a favorisé l'émergence de démocraties, et que les démocraties ont favorisé la création de sociétés du savoir.

Mais comme nous le rappellent les événements de la semaine dernière, nous ne pouvons pas prendre les valeurs des Lumières pour acquises. Aux États-Unis, ceux qui ont tenté d'élaborer des politiques en réponse au changement climatique ont réalisé que ces valeurs doivent être réaffirmées et défendues au quotidien. Les défis à ces valeurs proviennent de l'intérieur comme de l'étranger. Même en Europe, certains défendent l'idée d'une démocratie non libérale.

Je souhaite terminer en soulignant l'urgence de la situation. J'ai décrit les échecs économiques des pays industrialisés, en particulier en Europe. Ce désastre n'est pas le résultat de la guerre ou d'événements exceptionnels tels que tsunamis, séismes ou ouragans. C'est un désastre causé par l'homme. Quelque chose que nous nous sommes infligés. Cela devrait être profondément troublant. Et il est encore plus troublant de constater que l'Europe persiste à s'infliger cette douleur.

Malgré cela, il nous reste un espoir : car si l'Europe venait à changer ses politiques, ce malaise et cette souffrance pourraient enfin cesser. L'Europe possède les mêmes ressources humaines, physiques et naturelles aujourd'hui que celles dont elle disposait avant la crise ; les mêmes talents, les mêmes institutions démocratiques – le produit des Lumières, développé durant plus de deux siècles. Comme nous l'avons vu dans les débats sur la vie privée et la surveillance, la torture, la peine capitale et l'incarcération de masse en Europe et aux États-Unis, les valeurs des Lumières sont beaucoup plus enracinées ici que partout ailleurs. Ceux d'entre nous qui croient fermement à ces valeurs se tournent vers l'Europe pour trouver inspiration et espoir.

Mais si le système économique, politique et social basé sur les valeurs des Lumières ne produit rien de mieux en matière d'économie que ce que nous avons constaté depuis quelques années, la foi en de telles valeurs risque de s'effondrer.

Les pertes économiques – en grandes partie évitables – se sont accentuées. Les coûts futurs à long terme des erreurs actuelles se sont également accrus. Persister dans l'erreur ne produira pas de miracle. Les économistes se concentrent trop sur de simples statistiques – aussi flouées soient elles –, sur le taux de chômage et la croissance. Mais le coût de la crise devrait être mesuré par son effet sur les vies, les rêves et les aspirations des individus et des familles.

Les échecs sont flagrants. Alors que toute prévision de croissance a été revue à la baisse, il est remarquable de constater à quel point la confiance dans un modèle et des politiques clairement défaillants demeurent à l'ordre du jour. Ces politiques sont renouvelées avec toujours plus de vigueur. De nouvelles prévisions optimistes sont publiées, et aussitôt réduites. Le problème n'est pas que ces politiques n'ont pas été appliquées, mais bien au contraire qu'elles l'ont été. Les dirigeants économiques en tireront-ils un jour la leçon ?

Ce qui est à faire est clair. Les coûts liés à l'inaction sont également clairs. Le retard s'est avéré excessivement coûteux à la société européenne, à sa démocratie, à son économie. L'Europe a trop tergiversé. Le temps est venu d'agir.